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m’eussent convenu. Il m’a fallu prendre la garde comme officier de police, organiser des rondes, écouter des rapports, respecter, entre deux bâillements, les scrupules formalistiques de vingt gendarmes.

Je me tire de mes couvertures, je mets la tête hors de mon abri. « Au moins, est-il sûr ? » Il n’est fait que de branchages avec un peu de terre par-dessus ; le jour et la pluie passent au travers ; il n’arrêterait pas un shrapnell. Me voici rassuré ; il me fallait un fier sommeil. Par surprise, la mort eût pu me prendre en passant.

J’ai suivi Freville qui tenait à me montrer la marque des éclatements. Ils ont produit de larges creusets, au fond desquels a déposé un peu de terre calcinée, aux fibrilles verdâtres. L’un d’eux fait le pas de la porte qui s’ouvre à mes pieds, sur la ligne d’abris parallèle à la mienne : « Qui loge là ? — C’est l’adjudant Folliart avec la liaison. — Il n’a pas été secoué ? — Un peu, tout de même. » Au milieu d’un groupe, à vingt mètres, j’aperçois une masse lumineuse au soleil. « Un 210 non éclaté, » dit quelqu’un. Allongé sur le sol, le lourd bébé d’acier semble l’enseigne lumineuse du danger de ces lieux.

Qui croirait que la mort est notre visiteuse ? Une animation joyeuse se fait écho d’un bout à l’autre du camp. Tout le monde est dehors ; des chants s’élèvent et des jeux s’organisent. « Beau temps, me dit Ganot. — Oui, mais gros de menaces. » Voici, tirant vers nous, un avion vermeil : « C’est un taube, crions-nous. Tout le monde aux abris. »

En pente douce, vers les taillis qui en bordent le pied, la côte de Froideterre étage quatre rangées d’abris parallèles dont l’ouverture, par-delà un ravin boisé, découvre sur leurs collines nues le fort de Souville et les ruines fumantes de Fleury. Ganot est du pays ; il nous fait suivre sur la carte le relief d’un terrain qui lui est familier :

« Nous sommes sur la rive droite de la Meuse. Voici, à l’Ouest de Fleury, Thiaumont, Haudremont aux noms tragiques, la côte du Poivre, et, sur la Meuse, l’éperon de la côte du Talou. A l’Est, Souville et Vaux, avec leurs forts qui forment ici la dernière ligne de défense. La côte de Fleury nous cache Douaumont, où l’on accède par le bois de la Caillette où, voici deux hivers, j’allais chasser. »

« Moi, dit quelqu’un, j’ai combattu en Argonne, à