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je tâte un tonneau. Je mets la main par terre. C’est mouillé ; est-ce du vin ? Je lui trouve un drôle de goût. J’allume une deuxième allumette. Il y avait là deux cadavres et j’avais la main pleine de sang. — Et le tonneau ? — C’est bien ma veine : il était vide. » Par friponnerie, l’on s’expose au danger. La mort bravée, n’est-ce pas cela qui donne de la bouteille au vin ?

D’autres jouent leur vie à meilleur compte, par acquit de curiosité. J’ai vu plusieurs fois payer de sa vie la satisfaction de connaître comment, la seconde d’avant, on l’avait conservée. Au plus fort du bombardement, un homme descendait la côte de Fleury. Il sortait du village, il venait vers nous et se glissait de trou d’obus à trou d’obus. Une explosion bouleverse l’entonnoir qu’il vient, juste à temps, de quitter. Curieux du danger qu’il a couru, l’homme est revenu sur ses pas ; de ses deux bras étendus, il a pris le nouveau diamètre du trou d’où, l’instant d’avant, il n’était sorti que par miracle ; puis, s’y engageant debout, il se plut à connaître que le niveau du sol lui venait aux épaules. Il se satisfit à ces constatations pendant plus d’une minute où, remuant le sol autour de lui, les obus lui jetaient de la terre au visage. En curieux, sans hâte, il rampait aux entours du cratère lorsqu’il disparut, à mes yeux, derrière une nouvelle explosion. La fumée dissipée, je ne1 l’ai pas revu.

Nous rencontrons souvent des courages inutiles. Nous ne les observons pas toujours, mais ils nous sont le garant des sacrifices qu’à notre insu, le plus souvent, le combat exige et met en jeu. Tant d’insouciance dans le danger n’attend qu’une pensée opportune pour atteindre à l’héroïsme.

Par un clair soleil d’après-midi, je fus appelé pour voir passer, au-dessus de nos têtes, un de ces ballons d’observation que l’argot des tranchées a dénommés « saucisses. » Il avait rompu sa corde, et le vent l’entraînait vers le Nord. Deux avions étaient sortis des lignes françaises et l’encadraient pour assurer sa prise. Du côté français, deux aviateurs s’étaient élevés et, se posant en adversaires, engageaient le combat. Le ballon flottait alors au-dessus de nos têtes ; le vent l’entraînait irrésistiblement vers l’ennemi. Un point noir alors se détacha de la nacelle ; nous restions sans haleine quand il apparut comme une masse, puis un parachute s’ouvrit. Passant au travers des