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bavard comme on l’est peu, je lui trouve l’air, le sourire et les ressources de Méphisto.

Nous avons, en chemin, croisé plusieurs régiments du 11e corps à effectifs pleins ; ils montaient à Verdun. J’y ai retrouvé des amis qui m’ont appris la mort de plusieurs autres. « C’est dur, Verdun ? » me demandent-ils. Ce le fut pour nous. Nous avions mission de nous faire écraser. J’eusse mieux aimé l’assaut ; le cœur y bat noblement, et ce n’est que cinq minutes à passer. « De ces hommes, dit l’un d’eux avec tristesse, et me montrant les siens, combien en reviendra-t-i ! ? » J’esquive la réponse ; d’autres plus que moi peuvent incliner vers l’optimisme.

Une auto attend les officiers du campement ; j’en suis. Le capitaine Coltat nous dirige ; il claque des dents et grelotte de fièvre sous ses trois couvertures. Nous sommes, outre lui, Dumesnil, La Ferrière et moi. Avec ses maisons grises, basses et pauvres, Autrécourt nous est un paradis. Voici des granges closes, de la paille fraîche, je goûte d’avance la joie des hommes. Voici la maison du curé où nous ferons popote avec les officiers amis de deux compagnies de mitrailleuses. Voici pour moi une belle chambre. Il y a prétention à l’occuper ; un commandant de gendarmerie vient de la délaisser, et je ne suis que sous-lieutenant. J’en serai d’ailleurs délogé la veille de mon départ, mais à cette heure, cette perspective n’est qu’un poids léger sur mes épaules. La joie me prend des draps blancs qu’on apporte ; j’en exprimerais ma reconnaissance à mon hôtesse, si elle ne m’arrêtait dès le premier mot pour me faire entendre qu’elle est sourde.

Dépouillé de tout service, le séjour d’Autrécourt fut reposant, mais court. Dès le troisième jour, les premiers éléments de la classe 16 étaient venus nous renforcer. Le général Deville nous réunit le sixième jour : « Je vous transmets les éloges que vous adresse le commandement… D’un secteur inexistant, vous avez fait un secteur de résistance….. Vous étiez sous le coup d’une attaque que vos successeurs essuieront sans doute, mais qu’ils repousseront grâce à vos travaux ; ainsi vos fatigues auront fait le profit de la France. Il faut, dès à présent, adapter vos esprits à l’éventualité d’une bataille plus sérieuse… ! Vous allez vous trouver dans des circonstances où, plus que jamais, vous n’aurez à compter que sur vous-mêmes… Au