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n’avait été qu’une étape vers un cycle plus tragique. Le Mort-Homme s’ouvrait à nous, et nous y entrions, troublés par ce nom lugubre dont, depuis six jours, le tragique travaillait notre esprit. Nom de sinistre augure. Quel singulier présage que ce mot de Mort-Homme ! Le souvenir d’un cadavre d’un autre âge enveloppe aujourd’hui celui de milliers d’hommes qui toujours, sans doute, demeureront inconnus.

Un obus, éclatant à dix mètres de la compagnie, y mit du désordre. Il fallut dans la nuit crier, courir, rétablir les Oies et les rangs. Mais l’inefficacité même du projectile s’était déjà chargée de nous rassurer ; les jeunes reprirent leur place sans trop de tremblement. Leur sang, bien que secoué, n’avait pas coulé ; ils étaient rassurés. Ils avaient pris leur première leçon de danger.

Passé les Bois Bourrus, nous nous engageâmes dans des boyaux sinueux, interminables, s’ouvrant toujours au pas dans la nuit ; au-dessus de nos têtes, des balles battaient le parapet. La tête baissée, dans l’ignorance du danger et dans celle de l’ennemi, nous fîmes ainsi plus de deux kilomètres. « D’ici, vous apercevrez vos emplacements. Vous pouvez sans crainte sauter sur le parapet ; nous sommes protégés par une crête. » Un rétablissement opéré, et mes pieds trempant dans l’herbe humide, dans la nuit, sous la lune m’apparut, quadrilatère inégal, visible à ses masses blanchâtres, un fortin de belle allure et bien construit. À l’extrémité du boyau une petite lumière brillait en son milieu.

Cette lumière nous servit de guide. Ganot nous avait précédés ; il dormait, Noël auprès de lui. L’abri n’était qu’un trou où deux hommes pouvaient tout juste s’allonger ; mais Noël étant, cette nuit même, de corvée, me céda sa place où je pus m’étendre.

Le fortin de la deuxième position était creusé en deçà d’une crête qu’il commandait, séparé par un système jumelé et angulaire de ravins de la crête mère du Mort-Homme ; une compagnie l’occupait : des mitrailleuses le garnissaient. Il se rattachait aux ailes avec une ligne de tranchées allant, à l’Est, vers Chattancourt, et coupant à l’Ouest le ravin que nous appelions de la Hayette. Dominé au loin par la colline de Montfaucon qui nous était une menace, à l’Ouest par la cote 304, au Nord-Ouest par la crête du Mort-Homme, dite 291, sous la vue