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philosophique, psychologique, si vous voulez ; Alibaud est un héros ; son nom sera mis dans l’histoire à côté de celui de Frédéric Stab. Vous professez la haine de l’assassinat politique. Vous déclarez que Brutus et Cassius n’y voyaient pas plus loin que leur nez. Vous les traitez comme des bousingots. Je ne dis rien à cela. Chacun ses convictions à cet égard. Beaucoup de mes amis me font la guerre, et me proscrivent comme fanatique, quoique je ne m’occupe pas plus de politique que mon vacher. Je ne me dispute pas avec eux, tout est sujet à controverse, et l’on n’en finirait pas si l’on discutait les principes. Mais les faits sont à la portée de tout le monde, et on doit les traiter avec un certain respect. L’article signé Lherminier (sic) est ignoble. Dites-le-lui si vous voulez. Qu’est-ce que des épithètes insultantes adressées à l’homme dont la tête va tomber[1], qu’est-ce que le mépris d’un M. Lherminier envers cet homme des temps antiques ? Qu’est-ce que ce tressaillement d’horreur, cette épilepsie de vertu nommant l’infâme assassin ? et puis ce bon petit coin d’adoration délicate pour le bon Roi « qui se promène comme un bon citoyen au milieu de sa ville[2] ? Vous avez imprimé ces mots-là, mon cher Buloz, et vous avez imprimé une saloperie. D’abord, Louis-Philippe n’est pas un bon citoyen, ensuite, Paris n’est pas la ville de Louis-Philippe, cette citation eût fait honneur au Journal des Débats, elle ne fait pas honneur à la Revue des Deux Mondes.

« Je vous ai vu en politique des idées aussi élevées qu’en littérature, et vous voyant si différent de vous-même dans ces deux circonstances, je me persuade que vous ne lisez pas les articles qu’on vous donne. Vous appelez cela faire un journal ? On ne peut dire que Mme de Staël est ennuyeuse sans élever autour de vous un cri d’horreur et d’indignation, et on écrit qu’Alibaud est un débauché, un infâme, un criminel pauvre et bête ! Mon cher ami, vous faites mal la police de vos Revues…

« Bonsoir, mon cher camarade. Portez-vous bien, prospérez et écoutez mes remontrances si vous les trouvez justes, sinon faites à votre tête…

  1. Lerminier disait « il eut loche de frapper un homme qui ne peut ni prévoir le coup, ni le repousser, ni le rendre. »
  2. De frapper un homme qui se présente à vous paisible et désarmé comme un bon citoyen dans le sein de sa ville, faire siffler la balle entre sa femme et sa sœur, il n’y a pas de sophisme au monde qui puisse relever cet acte de la plus infamante bassesse.