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II

Avant d’arriver au récit de cette mémorable séance du 18 février 1874, il est nécessaire de voir au milieu de quelles luttes, de quelles violences, avaient été nommés les députés d’Alsace-Lorraine.

L’Allemagne tout entière était alors en ébullition. C’était le temps où Bismarck ; fier de son œuvre, prétendait la parfaire à son gré : l’hégémonie prussienne, imposée à l’Allemagne dans le domaine politique et militaire, il voulait maintenant la lui imposer aussi dans le domaine religieux : l’unité était sa règle, et, puisque la Prusse, puissance directrice et maîtresse, était de religion luthérienne, la religion catholique n’avait, dans tous les autres États de l’Empire, qu’à céder le pas et à s’effacer avec soumission. De cette autoritaire prétention, une lutte religieuse violente était résultée : ce fut la lutte des cultes, le fameux Kulturkampf.

Ce combat, Bismarck le mena comme il savait le faire, avec ses habituels moyens : prêtres arrachés à l’autel, évêques, archevêques insultés, brutalisés, jetés aux fers ; et, pour rendre ces mesures plus doucement acceptables, accompagnement de bataillons fusils chargés et d’escadrons sabre au clair. Le jour de l’incarcération, à Oslrowa, de l’héroïque archevêque polonais de Posen, Mgr Ledochowski, un bataillon d’infanterie avait reçu des cartouches[1].

Dans les élections générales de janvier 1874, il était aisé de voir le but auquel tendait Bismarck : il voulait obtenir un parlement qui domptât les évêques et lui fournit une armée capable de dompter l’Europe[2].

Pour l’ensemble de l’Allemagne, c’est le 11 janvier qu’eut lieu le scrutin. Le résultat causa à Bismarck une irritante et cruelle désillusion : après une lutte passionnée, deux partis apparaissaient comme sensiblement renforcés, ceux précisément qu’il avait le plus en horreur : le parti catholique, dit parti du « Centre, » et le parti socialiste. « Odeur de pétrole à Berlin, odeur de sacristie en Bavière, » écrivait avec humour en rendant compte de ces élections le correspondant du

  1. Le Temps, 10 février 1874.
  2. Voir G. Goyau, Bismarck, l’Église et le Kulturkampf, in-12, Perrin, t. II.