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les oreilles chargées de lourdes boucles d’oreilles, pendeloques de corail, grands anneaux d’or sertis d’émeraudes ou de perles, « bijoux de juifs » fabriqués dans les Mellahs bleus des villes blanches. Et des colliers sans nombre retombent sur le chatoiement du riche caftan, au-dessus de la petite ruche à la Watteau en gaze rose, ou bleue, ou blanche, montée sur un étroit tour de cou de velours noir : colliers d’or, d’ambre, de corail, mélanges baroques d’amulettes et de pierres frustes serties dans la même orfèvrerie du Mellah. Tout cela forme un ensemble d’un éclat extraordinaire, où les gazes roses se mêlent aux brochés bleu et or, les gazes blanches aux soies vieux rose et aux ceintures vert pomme ou violet ; et à travers le groupe se faufile un petit négrillon à frimousse de Zamor, dont le caftan violet, lamé d’argent, est ceint d’une belle écharpe de soie framboise.

Les jeunes femmes ont déposé leurs babouches dorées au seuil du mirador. Du pas léger et silencieux de leurs pieds nus teints de henné elles nous guident vers les divans qui entourent la pièce. A chaque mouvement, un parfum subtil se dégage de leurs draperies, une odeur d’ambre, de bois de santal et d’eau de rose. Elles nous regardent toujours avec leurs grands yeux doux et curieux, étudiant les détails de nos pauvres « tailleurs, » de nos ridicules chaussures, tandis que leurs pieds couleur d’écorce de grenade apparaissent sous les plis volumineux de leurs belles robes. Sans doute, elles nous trouvent d’une élégance extraordinaire, et nous envient nos pauvres jupes en laine, nos blouses « chemisiers, » et tout ce qui, dans notre costume pratique et si peu pictural, ressemble le moins à leurs somptueux atours. Car le même instinct puéril qui nous pousse, nous femmes occidentales et affranchies, vers toutes les extravagances de la mode, quelle que soit sa laideur ou sa pauvreté, fait sans doute que ces princesses de rêve brûlent d’échanger leurs babouches dorées pour nos « Oxford » en cuir jaune, leurs lumineux brocarts pour nos tristes cheviottes. Nous devinons même que ce qu’elles nous envient le moins, c’est peut-être ce que nous avons de mieux, — la finesse plus sobre des bijoux, les raffinements du linge que l’on ne voit pas.

Le mirador où nous sommes assises donne sur une grande pièce, longue galerie dominant tous les autres bâtiments du palais, et dont les fenêtres donnent d’un côté sur la mer, de