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Hélas ! il parait qu’il n’y en a qu’un, le fils de l’épouse morte… Les figures des jeunes femmes s’assombrissent, et l’on sent la tristesse glacée de cet intérieur où manque le pullulement des bébés café au lait qui égaie la monotonie des harems… Mais une esclave a apporté l’enfant, et tous les bras chargés de bracelets s’étendent pour l’accueillir. Ah ! le pauvre petit être ! Serré contre le sein d’une de ses mères d’adoption, si maigre et d’une si mauvaise pâleur sous sa tignasse noire et frisée, il ressemble à l’un des maladifs petits Jésus de Crivelli, mélancoliquement appuyé contre les brocarts d’une anémique Madone.

A voir les innombrables amulettes suspendues à son pauvre cou maigre, et retombant sur sa chemise, — amulettes en corail, en ambre, en ambre gris, en corne, défenses accumulées contre tant de vieux maléfices occultes, — on devine à quel, point la santé de cet enfant préoccupe les siens, combien d’espoirs et d’ambitions sont concentrés sur cette tôle languissante aux grands yeux inamusables…


IV

… A travers un labyrinthe de petites rues très blanches, très propres, très « province, » nous gagnons à pied la porte cloutée de fer de la demeure arabe où l’on nous a invités à goûter. Derrière nous, peu à peu, les rumeurs du quartier européen s’apaisent. Nous n’entendons plus le ronron des automobiles, les cris des muletiers, la joyeuse clameur de la foule qui se presse aux portes des cinémas et des cafés. Nous voici repris par le calme et le mystère de la vieille ville arabe qui se ratatine et se cache au centre de tout ce brouhaha cosmopolite.

Une servante pousse le lourd verrou, et nous entrons dans un petit couloir. Pour le palais d’un grand fonctionnaire du Makhzen, la demeure est bien modeste. Guidés par le beau-frère du maître de la maison, nous montons un étroit escalier de bois qui donne accès à la pièce où ce dernier nous attend ; et, dès le premier coup d’œil, nous comprenons pourquoi on n’a besoin ici ni de grands patios fleuris, ni de salles lambrissées de stuc. Au bout de la pièce, quelques marches mènent à un mirador vitré ; de là, nos regards ravis dominent la ville, la mer, l’embouchure du fleuve, que surplombe la citadelle juchée sur une falaise rouge ; et, plus loin encore, sur l’autre rive, la