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intéresse l’esprit humain appartient de droit à la littérature. » Pour toutes ces raisons, à cette date, un cours de Brunetière sur la littérature du XIXe siècle ne pouvait manquer d’exciter au plus haut point la curiosité passionnée de ses auditeurs.

Leur attente n’a pas été déçue. Dès la première leçon, on était fixé sur la signification profonde et la haute portée de cette enquête. Brunetière commence par signaler les multiples difficultés du sujet qu’il traite et il se demande comment il pourra parvenir à les surmonter ou les tourner. En attendant les constructions définitives de l’avenir, il voudrait bâtir « un édifice provisoire, à la cartésienne, » mais qui puisse du moins servir d’abri. Et le moyen qu’il propose, « simple, radical, — et hasardeux, » avoue-t-il, est surtout d’une élégante et séduisante originalité.


Il consiste à renverser ou à inverser la méthode habituelle, et à constituer le présent juge du passé. Au lieu de commencer par le commencement, commençons par la fin : au lieu de mettre religieusement le pied dans les traces des autres, frayons-nous à nous-mêmes notre route, et ne retenons du passé, littéraire ou autre, que ce qui est nécessaire, indispensable, ou simplement utile à l’explication de l’actuel.

Si nous nous plaçons à ce point de vue, nous voyons par tout ce qui se passe autour de nous, je dis aujourd’hui même, nous sentons et comprenons par notre expérience, que dans la littérature, l’art, la politique et la morale, deux principes sont en lutte : le principe de la solidarité sociale, et le principe du droit intégral de l’individu. Il s’agit en morale de savoir si chacun de nous doit tendre principalement, ou exclusivement même, au développement des instincts qu’il trouve en lui ; ou au contraire si les conditions mêmes de la vie sociale exigent qu’il en abdique une part au profit de la communauté. Pareillement en art et en littérature, il s’agit de savoir si la littérature et l’art nous ont été donnés pour former un lien de plus entre les hommes, à la façon d’un langage plus idéal, plus général, et plus profond, ou pour nous être des instruments de volupté solitaire.

Conformément donc au principe que nous posions, nous ne retiendrons, pour en parler, que les œuvres et les hommes qui ont en quelque sorte répondu à cette question, et nous négligerons tous les autres. Nous ne retiendrons même que celles et ceux qui y ont répondu d’une manière vraiment originale et personnelle.


Poser ainsi la question avec cette vigoureuse netteté, avec cette hardiesse impatiente, c’était « actualiser » un sujet qui du