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point le mot, l’anecdote qu’un jour tel d’entre eux lui a contée, et dont il rit encore. Quand chacun se sent à l’aise et quand l’atmosphère de bonhomie est ainsi bien établie, c’est alors que, d’un air indifférent, comme sans y penser et entre intimes, il glisse l’information fausse, au bénéfice de l’Allemagne : il assure qu’il vient de l’apprendre, qu’il la croyait déjà connue ; il regrette de l’avoir dite, puisqu’elle ne l’était point ; et, pour elle, il demande le secret. Parfois, et alors en grand mystère, il communique une nouvelle vraie qu’il tient de son gouvernement, voire du département d’Etat, et qui doit embarrasser le département, peut-être lui forcer la main, servir enfin les intérêts allemands. Elle n’est, bien entendu, pas pour être publiée. Il criera donc ensuite et très haut, dès qu’elle lésera, aux fuites de documents secrets, à l’espionnage anglais, et se frottera les mains en secret.

Tel se présente l’homme dans son entourage immédiat. Mais n’allez pas croire que ses vues se limitent à cet entourage. Il trouve en effet, en arrivant aux Etats-Unis, un terrain préparé de longue main par l’Allemagne. Il n’a qu’à continuer l’œuvre de ses prédécesseurs et il n’y manque pas.

Bien avant août 1914, par les soins de ses ambassadeurs successifs, Holleben et Sternberg, l’Allemagne avait commencé de tendre activement sur les Etats-Unis son réseau compliqué d’intrigues. Méthodiquement, elle avait divisé le pays en quatre grandes zones : l’Est, qui comprend toute la côte Atlantique ; le Moyen-Ouest, que, depuis longtemps et toujours, elle considère comme son domaine propre et qui englobe les grandes villes de Chicago, Milwaukee, Saint-Paul, Kansas City ; l’Ouest, qui est surtout formé de la riche Californie ; enfin, le Sud, ses cotonniers et ses cotons. Chacune de ces quatre sections a été, de sa part, l’objet de particulières avances. En chacune, elle a adapté sa propagande aux conditions spéciales de topographie et de production. En toutes elle a des alliés, des partisans.

Ses alliés naturels sont d’abord, partout, les Pro-Germains, c’est-à-dire les Allemands, naturalisés ou non, résidant aux Etats-Unis, et les Américains d’origine allemande. Ses partisans, souvent plus enragés que les premiers, sont les Irlandais-Américains, anti-Français parce que, catholiques, ils reprochent à la France sa politique sectaire, anti-Anglais par tradition ; l’Allemagne les a aisément persuadés qu’elle seule,