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à d’autres, que « l’Allemagne consentirait à négocier avec les États-Unis, formellement ou informellement, pourvu qu’aucun obstacle ne fut mis dorénavant au blocus commercial contre l’Angleterre. »

Dans l’esprit de l’honnête messager, l’Allemagne, loyalement, proposait un arrangement, que les États-Unis devaient accepter avec joie. Dans l’esprit de celui qui l’envoyait il n’en allait pas du tout ainsi, et tout au contraire. L’ambassadeur voulait lancer d’abord et à tout hasard un nouveau ballon d’essai vers une solution pacifique du différend actuel avec les États-Unis : mais bien plutôt encore, car cet espoir d’arrangement semblait maintenant bien évanoui, il prétendait donner avec cette proposition de plus forts arguments aux pacifistes qui étaient alors très puissants et qui pouvaient le devenir davantage. Si les choses n’allaient pas pourtant au gré de ses désirs, il serait toujours temps pour l’Allemagne de désavouer le bénévole messager et son intempestif message. C’est ce qui eut lieu.

Le Président, qui avait vu au premier instant d’où venait le coup et qui l’on voulait atteindre, n’attendit même pas douze heures pour répondre à l’attaque. Il déclara que les États-Unis auraient plaisir à discuter toute question avec l’Allemagne, à la seule, mais primordiale condition que l’Allemagne annulât son mémorandum du 31 janvier.

Le coup étant ainsi paré et le complot déjoué, Berlin désavoua immédiatement et fort brutalement, ma foi, le messager de son ambassadeur. L’infortuné Ritter, qui n’avait encore rien compris et croyait seulement à un détestable malentendu, s’en fut aussitôt trouver l’ambassadeur qui ne pouvait manquer, selon lui, de tout remettre au point bien vite.

Cependant le comte Bernstorff le reçut au pied levé, parmi ses bagages, malles ouvertes, dans le fracas des caisses qu’on cloue, des ordres donnés à secrétaires, valets, et à tous. Il ne s’interrompit que pour serrer en hâte la main du visiteur. Et, tout aussitôt, il lui parla horaires de trains, accommodations à bord du Frédéric VIII, cabine et cuisine. Il plaisanta, rit, ne lui laissa pas placer un mot. Et, tout doucement, il le reconduisit, en lui frappant l’épaule, puis lui prenant le bras. Quand on fut à la porte, il lui serra la main à plusieurs reprises, et chaque fois avec une plus grande effusion. Il lui