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maintenir et développer, dans les luttes pacifiques, les œuvres que l’agression criminelle a fait surgir de son sol, comme on voit en une nuit, dans les forêts tropicales, jaillir des plantes merveilleuses. Il suffira d’y mettre, comme nous allons voir, un peu de volonté, d’aimer et de défendre chez nous la liberté, aussi bien que nous aurons défendu celle du monde, et surtout la liberté de bien faire, et de courir sus bravement à certains sophismes stérilisants.

S’il fallait décider quel a été de tous les produits fabriqués, de tous les objets créés par l’industrie celui qui a été le plus nécessaire et le plus utile aux pays depuis la guerre, celui sans lequel la défaite eût été rapide et inévitable, je répondrais sans hésiter, — et je vais démontrer pourquoi : — l’acide sulfurique.

C’est depuis longtemps une sorte d’axiome économique, que le signe, le coefficient, le facteur qui représente le mieux la prospérité économique d’une nation est sa consommation d’acide sulfurique. Vrai dans l’état de paix, ce critérium l’est encore bien davantage, comme nous allons voir dans la guerre moderne. L’acide sulfurique est, si j’ose paraphraser une formule connue, le sang de l’industrie de guerre.

Cela est si vrai que naguère, à la Chambre des députés, M. Denys Cochin, alors sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères, a pu en déduire une démonstration particulièrement frappante de la préméditation germanique. Voici en deux mots quel a été le raisonnement de l’éminent homme d’État qui est en même temps, comme fut lord Salisbury, un distingué chimiste. L’Allemagne avant la guerre dépensait pour faire son acide sulfurique annuellement de 1 100 000 à 1 200 000 tonnes de pyrites dont 900 000 venaient d’Espagne. Or, dans les deux années qui ont précédé l’année de la guerre, au lieu de 900 000 tonnes, elle en a fait venir un million 200 000 tonnes, c’est-à-dire qu’elle s’est constitué un stock de 600 000 tonnes de pyrites. Et M. Denys Cochin ajoutait : « Que conclure de là ? Pour moi, c’est la preuve incontestable, avec beaucoup d’autres, de la préméditation du crime de nos ennemis. » Cette ; démonstration chimique de la véracité du fameux : « Je n’ai pas voulu cela ! » renforce en effet singulièrement les preuves diplomatiques qui en ont été apportées récemment.

Lorsque d’ailleurs la guerre, sans respect pour les prévisions du grand état-major de Berlin, se fut allongée plus que ne le voulaient ces prévisions, grâce à la Marne… à la première édition de la Marne, l’une des premières et plus essentielles préoccupations du gouvernement allemand fut la production accentuée de l’acide sulfurique.