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tout cas, le traité de 1839 n’eût-il pas existé, parce qu’elle était menacée en même temps que nous par notre commune ennemie. Nous avons même reçu les premiers coups qui lui étaient destinés.

On a prétendu aussi que notre industrie fut redevable d’une partie de ses succès sur les marchés d’outre-mer au privilège que possédait notre nation d’être perpétuellement neutre. On aurait tort, à mon avis, de transporter la question dans le domaine économique. Que si les Chinois, par exemple, peu versés dans le droit des gens et ignorant la signification juridique du mot de neutralité, ont donné quelquefois la préférence à des sociétés belges, c’est que la Belgique, en tant que petite nation, leur inspirait plus de confiance que les grandes. Elle n’ambitionnait pas, comme quelques-unes, d’acquérir sur une partie de la Chine une mainmise politique au moyen de concessions économiques. Elle ne fortifiait pas des Kiao-tchéou et des Port-Arthur. Son désintéressement en cette matière était un rare mérite au jugement de ses amis de Pékin, autant que sa ponctualité à exécuter les contrats et l’excellente qualité de ses produits. N’enlevons pas pour cela à l’industrie belge la gloire d’avoir battu parfois à armes égales ses rivales des grands pays producteurs. Lorsqu’elle y est parvenue au Mexique, au Brésil, et ailleurs, c’est bien alors à elle seule qu’elle a dû la victoire.


En regard de ces bienfaits illusoires, il convient de placer les mauvais services que la neutralité nous a rendus. Ici ses détracteurs ont beau jeu. Les Belges, disent-ils, se laissaient bercer et endormir dans une trompeuse sécurité, sous l’influence soporifique de leur neutralité perpétuelle. Se croyant, grâce à elle, à l’abri de toute agression, ils n’ont pas fait les sacrifices financiers et militaires que commandait la situation de leur territoire, dépourvu de défenses naturelles. S’ils avaient été en mesure, à la première menace d’un conflit européen, d’aligner le long de la Meuse une armée de 500 000 hommes, cette barrière d’acier aurait sans doute donné à réfléchir au grand état-major de Berlin. Il n’aurait pas pensé que le plus court chemin menant à Paris passait par Bruxelles. Voilà le plus grave reproche qui puisse être adressé à notre neutralité.