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commandement du secteur ; au cours du repas, dans le détail, il reçoit les consignes. Un seul point l’inquiète encore, celui qu’avec Coureaux nous avons la mission de définir. Le « Martell » bu, nous partons dans la nuit. La reconnaissance faite, deux compagnies sont mises à notre disposition pour l’appuyer par une ligne de tranchées ; nous rétablissons ainsi le front sur près de huit cents mètres. Au matin, les yeux vicies et les jambes flageolantes, appuyés sur l’affût d’un des quatre canons détruits qui couronnent les abris du colonel, nous choquons l’un contre l’autre nos quarts pleins d’un café brûlant.

Après le combat, il n’est meilleure sagesse que de dormir ; la fatigue passée, le cœur, au réveil, s’exalte de souvenirs. Les jours qui suivirent, nous fûmes en réserve. Des journaux passent de main en main, où l’on parle de nous. Comme on connaît ses saints, on les honore ; l’ordre du jour du général Pétain[1] nous va droit au cœur ; les têtes s’échauffent sous cet effluve de gloire.

Il y a des réactions singulières chez le soldat. Même à l’instant qu’on veut le flatter, il vous prend souvent en haine ; il faut avoir la main ; tous ne montrent pas patte blanche à son esprit. J’ai pu m’en rendre compte dans ce moment quand, dans l’exaltation d’un succès dont il savait la gloire, il s’emportait contre les chroniques fantaisistes qui lui gâtaient son action.

Tant d’erreurs ont été répandues sur notre compte, tant de détails multiples, d’équivoques, de confusion, d’uniformisation des mérites et des tâches que j’ai vu cent fois des combattants déchirer les journaux avec rage en lisant ce qu’écrivent ceux qui, sans avoir partagé nos souffrances, ont pourtant sur nous une opinion à placer. C’est qu’ils ne pouvaient s’empêcher de penser qu’en faisant état de nous à cette heure, l’écrivain, le journaliste a trop facile crédit sur l’opinion publique ; trop d’intérêts aussi travaillent derrière sa plume ; quand nous reviendrons, c’est nous qui en conterons, et nous qui aurons tort ; de plus

  1. Ordre de la 11e armée, le 10 avril 1916 : « Le 9 avril est une journée glorieuse pour nos armes. Les assauts furieux des soldats du kronprinz ont été partout brisés. Fantassins, artilleurs, sapeurs et aviateurs de la 11e armée ont rivalisé d’héroïsme. Honneur à tous. Les Allemands attaqueront sans doute encore. Que chacun travaille et veille pour obtenir le même succès qu’hier. Courage, on les aura.
    Signé : PETAIN.