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« Heureux le temps où, dans la pluie et la boue, les adversaires ne voyaient qu’un ennemi commun qui les réconciliait pour un jour et suspendait les hostilités ! La guerre, alors était un jeu ; c’eût été contre ses règles de profiter d’un hasard aussi mercenaire ; il eût fallu des mains et des bottes plébéiennes. La guerre était une parade, et l’on voulait à la mort une noblesse. Heureux jours où les jeux de la mort n’éclosaient que sous le soleil, où les adversaires opposaient aux temps roturiers le mépris des hostilités ! Car, comme ils se paraient pour le combat, ils voulaient aux épées le reflet du soleil. Mais alors ce pouvait être ainsi. Une force guerrière était une force limitée, sans rapports avec le reste du pays, et les privilèges d’une noblesse unique qui, seule, avait des armes, dominaient encore les prétentions des combattants ; nourris du même esprit, avant de se détruire ils se soutenaient d’un mutuel respect. Et dès lors, toute la guerre consistait à mettre en présence les deux forces guerrières adverses pour connaître celle qui, enfin, l’emporterait sur l’autre ; mais la gloire mutuelle des combattants exigeait des conditions préalables, une tradition commune de longtemps établie. Le reste du pays était spectateur, attendant d’être vainqueur ou vaincu, mais il n’avait point l’accès du champ clos ; l’honneur d’une caste unique, et qui s’allait tuer, y régnait tout entier.

« Aujourd’hui, c’est le caractère de cette guerre d’exiger autre chose que des vertus guerrières. Tout le pays y participe ; rien n’est plus humble désormais que la tâche du soldat. La puissance guerrière est moins dans le combattant que dans la nation, et l’armée n’est que le butoir où manœuvre sans répit toute la force du pays.

« Oui, heureux temps où l’on exigeait le soleil pour témoin de ses combats. La guerre alors était un jeu où l’on faisait la grandeur et la beauté de la mort en lui donnant une parure. En ces temps ; le courage personnel et le respect des conventions constituaient une noblesse ; la galanterie en était le complément, car souvent les femmes en étaient les témoins. Le combat était une attitude, une tenue où l’on jugeait, par l’intervention d’un risque, de la force de l’âme, de l’éducation chevalière, de l’honneur aux dames et du mépris souriant de la mort.

« L’armée, aujourd’hui, est une boue, mais une boue vivante et qu’animent des yeux ; ceci n’est pas moins grand.