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contrôlées, on connaîtra aussi exactement que possible l’ordre de bataille de l’ennemi, ses voies de relève, etc. Bref, l’heure venue de déclencher l’attaque, les troupes se battront sur un terrain connu, contre un ennemi connu. Pour obtenir un tel résultat, on imagine quel labeur il a fallu, combien minutieux et précis jusque dans les moindres détails, où l’erreur la plus légère peut entraîner de terribles conséquences.

L’heure est venue, — l’heure H. du jour J. Le général entouré de son état-major va recevoir les nouvelles qui lui permettront de suivre le cours de l’opération. Ici M. Marcel Prévost me permettra de « recouper » ses renseignements par les miens. D’une lettre écrite au lendemain des plus dures journées de la Bataille de France, je détache ces lignes : « Je reverrai toute ma vie cette petite pièce mal éclairée, vide de tous meubles, avec seulement une grande table sur laquelle est accoudé le général P… à côté de lui, lisant la carte avec lui, les généraux F… et H… appuyé sur la même table un officier écrit ce que, d’accord avec ses deux chefs, dicte le général. Le chef d’état-major, les officiers de liaison de l’armée, du G. Q. G. du G. A. R. sont là qui attendent. Ce silence presque complet, cette impression de tous les nerfs tendus, ce calme voulu, nécessaire ! Pendant trois jours et trois nuits, le jeûne, l’insomnie, l’angoisse refrénée et que rien ne trahit. Et puis cette soirée où, après une lutte farouche de nos troupes, on sent l’ennemi qui avance, la canonnade qui se rapproche, le bombardement de la ville qui commence. Un à un les généraux, les officiers venus en liaison nous quittent avec un serrement de main significatif. Il reste le général P… avec son troisième bureau et quelques secrétaires. La nuit vient. A aucun prix le général ne voudrait quitter la ville : tout lui est prétexte à différer le départ. Cependant le moment arrive où le commandement va lui devenir impossible : il se résigne à partir, le dernier… » Et voilà un aspect de la bataille, à peine moins tragique que l’autre.

Dans l’action dont M. Marcel Prévost a été le témoin, l’enjeu n’avait pas la même valeur décisive : le cœur de la France n’était pas visé. Et pourtant ! La part de l’imprévu est si grande dans toute action, même la plus savamment combinée ! J’admets sans peine que la respiration doit être difficile pendant ce premier quart d’heure, où l’on ne sait rien. Enfin, une première