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pas descendre aux compromissions, s’est enseveli dans la tombe où se cachent les désespérés héroïques : dans la Légion étrangère.

Elle l’apprend ; et la voilà qui part à sa recherche sur les routes brûlées de l’Afrique, dans le désert, vers les oasis lointaines où seules accèdent les caravanes, à Béni Abbès, trois cents kilomètres plus au Sud que Colomb-Bechar. Quand elle arrive, elle apprend que Laire vient de mourir en combattant.

Elle rentre à Paris. Elle fait son testament. Tous ses biens, elle les lègue aux soldats de la Légion étrangère, « pour que leur vie soit moins dure, et pour qu’il y ait quelqu’un qui les pleure quand ils sont morts. » Comme adieux au Paris qu’elle aime, elle danse pour la dernière fois dans une soirée d’apothéose ; c’est la danse que lui a appris le balancement des caravanes, et dont elle a cru deviner le rythme dans les fureurs du soleil. Puis elle se tue.

« Écrit au lointain, avec poésie, » dit l’auteur en terminant l’histoire. C’est vrai ; un souffle de poésie soulève la deuxième partie du roman. Il a repris l’éternelle histoire des grandes amours inexplicables, nées brusquement, et qui ne pardonnent plus ; il l’a rajeunie, en la plaçant dans le décor féerique du grand désert, au milieu d’une nature enflammée, parmi les hommes farouches qui lavent dans leur sang les taches de leur passé ; des fantoches dépravés par le vice, il a fait sortir la nature ; et c’est précisément parce qu’il a repris, plus haut que les chansons fausses où il ne s’était que trop complu, les deux thèmes souverains, — l’amour, la mort, — qu’il a mis dans son roman plus d’humanité.

Souhaitons qu’il ne s’arrête point là. Ces touches sincères et douloureuses persuadent que M. Guido da Verona est capable, pour peu qu’il le veuille, d’élargir le genre qu’il avait d’abord choisi ; de gagner en beauté et en noblesse ; d’arriver, au-delà d’une première vérité, où il entre encore trop d’éléments superficiels, aux traits qui demeurent pour toujours, et où l’homme se reconnaît de génération en génération. C’est un heureux présage, à l’heure où il arrive à la maturité de son talent. Mimi Bluette, fleur de mon jardin : le jardin peut produire des fleurs aussi belles, plus vigoureuses et plus saines ; il nous les doit, et nous les attendons.


PAUL HAZARD.