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cœurs restaient fermes. Tandis qu’à la lueur des incendies de Noyon, le corps Pellé occupait lu dernier rempart couvrant l’Ile-de-France, tandis que, dans la poche qui se creusait entre Guiscard et Nesle, tout semblait incertain, la voix du chef s’élevait pour adresser un suprême appel au courage. C’est ce soir-là que sur les rangs était lu l’ordre, — aujourd’hui célèbre, — du général commandant la 3e armée : « Les troupes du 5e corps, du 2e corps de cavalerie, des 3e et 18e corps britanniques, défendent le cœur de la France. Le sentiment de la grandeur de cette tâche leur montrera leur devoir. »

Cette voix n’avait pas à éveiller ni même à surexciter un courage qui, depuis trois jours, se dépensait sans compter, mais elle rencontrait, au contraire, du cœur des chefs à celui des soldats, un écho magnifique. Tous allaient en effet avec la même ténacité se jeter entre l’ennemi et Paris ; « le cœur de la France » était bien défendu.


XII. — L’ARRIERE DE LA BATAILLE

Le 26 au matin, un grand trouble régnait dans la région immédiatement située au Sud de la bataille. De Compiègne à Senlis, de Clermont à Chantilly, les populations prêtaient une-oreille inquiète au bruit de la canonnade qui, depuis trois jours, se rapprochait. Celui qui écrit ces lignes se rappellera longtemps ces heures où, s’interrogeant d’une voix pleine d’anxiété, les habitants alertés se posaient la question : « Allons-nous les revoir ? » Les populations évacuées du Noyonnais passaient, mortellement tristes : plutôt que de subir une seconde fois le joug des Barbares, elles avaient préféré s’enfuir : les lamentables cortèges se déroulaient à travers les villes, les villages, l’homme cheminant, la face fermée et la tête basse, à côté des bêtes attelées aux charrettes, les femmes et les enfants assis sur les paquets entassés et les meubles pauvres, pâles de chagrin et ne pouvant plus pleurer. Les villes les plus rapprochées se vidaient. Une atmosphère lourde pesait.

Elle se dissipait soudain quand, montant vers la bataille, les troupes françaises passaient : rarement nous avons vu figures plus ouvertes, attitude plus crâne. Les camions, courant vers le Nord, retentissaient de lazzi ; les canons roulaient couverts de branchages et sur leurs sièges les conducteurs « blaguaient. »