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amour. Il l’ornait de sentiments scrupuleux et exquis. Tout jeune, sans fortune, fils d’un simple lieutenant à l’élection de Meulan, on le mit aux Finances, petit commis de l’épargne. Il connut qu’autour de lui l’on grivelait sur les pensions : il ne put souffrir ces « pillauderies ; » et il s’en alla. Il vécut désormais un peu au hasard, avec dignité. Quand il était auprès du comte de Saint-Brisse, il veillait à ne pas lui coûter cher ; et il payait, par son agrément, les bontés qu’on avait pour lui. L’un de ses talents était la musique : il l’avait apprise « comme une partie des mathématiques ; » et il la cultivait, ainsi que les mathématiques, en guise de divertissement. Il chantait ; et son répertoire était si étendu qu’un soir de carnaval il donna quatre-vingt-huit chansons. Il dansait aussi. Et il composait des ballets. Et il écrivait à ses amis des billets joliment rimes, où il mettait un peu de philosophie, avec beaucoup de badinage. Il était si gai que le messager de Rennes à Paris le voulait pour rien, tant il tenait les autres voyageurs en bonne humeur, patience et aménité distraite. Une aimable femme un peu toquée, veuve de trois vieux maris et craignant de s’ennuyer dans la solitude où finalement l’avait laissée le maréchal de Thémines, sut l’attacher à sa personne, en qualité de secrétaire ou intendant, en qualité mal définie et précieuse d’ami, de compagnon. Il ne la quitta plus et n’eut d’autre zèle qu’à la préserver des périls du désœuvrement.

Voilà M. Le Pailleur. J’ai cru qu’il fallait tracer de lui cette petite image, parce qu’il est le seul de son temps qui nous ait laissé quelques mots relatifs à la petite fille qui sera Mme de La Fayette.

En 1637, quand Marie-Madeleine a trois ans, M. Le Pailleur, « estant à la campagne avec Mme la maréchale de Thémines, » écrit à M. de La Vergne son ami et, en vers pimpants, lui fait part de tout le bien qu’il entend dire de cette « petite Ménie, » si gentille,


Surtout quand elle fait le loup,
Son devanteau dessus sa tête[1].


Et c’est tout. Mais, le plus souvent, on n’a rien, sur les primes années des personnes qui sont devenues célèbres. Les

  1. Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 4127.