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Mme de Sévigné a huit ans de plus qu’elle et elle a vingt-cinq ans au mois de février 1651 lorsque son mari est tué. Son mari c’était un débauché, qui ne lâchait point de réparer ses fautes par de gracieux procédés. Elle n’avait pas avec lui ces revenants-bons d’une épreuve où l’on a payé d’exacte patience ; ni la douceur des panions joliment demandés et obtenus ; ni les promesses qui donnent peu d’espoir, mais qui tournent en mélancolie le chagrin, la rancune en complaisance et les larmes en sourire. Il était grossier, brutal et, hors de chez lui, charmant. Il aimait partout : » c’est que partout on l’aimait. Et ce fut Ninon, jeune déjà ; puis cette « belle Lolo, » Mlle de Gonran ; puis les mille et trois d’un coureur. Il n’aima, dit Bussy, « jamais rien de si aimable que sa femme ; » et Tallemant : « Pour moi, j’aurais mieux aimé sa femme. » Il l’aurait mieux aimée, lui pareillement, si elle n’eût pas été sa femme ; et, un pende temps, il la préféra : mais il préférait aussi les autres… Il est tué. Elle en a la plus vive douleur. Elle mène un grand deuil, et sincère. Elle pleure, elle gémit. Et Bussy s’en étonne : un si détestable mari ! Bussy, comme d’autres amis des femmes, ne connaît pas les femmes. Désolée, elle quitte Paris, se retire en Bretagne : on ne la verra plus jamais ; elle est inconsolable. Elle a été inconsolable toute la fin de l’hiver, tout le printemps, l’été, le début de l’automne et, pendant ces longs mois, deux saisons et quelques semaines des deux autres, on ne l’a pas revue à Paris. Elle y revint à la mi-novembre et velue encore, dit Loret, de sombres atours, mais consolée. et, consolée, ce n’est rien : ce n’est que l’effet du temps. Le temps cicatrise les blessures, tant bien que mal, et souvent mal. On ne fait rien sans lui ; mais il ne faut pas se lier à lui seul. Mme de Sévigné a laissé le temps la consoler : en outre, elle a veillé à l’œuvre du temps et l’a dirigée. Dans le loisir de la campagne, elle a pris ses résolutions, certes au gré de sa nature, qui est douce, frivole et prudente, au gré aussi de la sagesse et du devoir. Elle a une tête bien faite, où les idées se rangent à merveille, où les idées du plaisir et de la vertu se réunissent volontiers. Elle ne prétend pas éluder tous les hasards ; du moins, elle saura tenir les hasards dans les limites où les peuvent garder quelques volontés. Ses volontés sont claires ; on les numéroterait : elle ne se mariera pas de nouveau, elle n’aura point d’aventures galantes, elle ne sera ni austère ni refrognée,