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fièrement son plaisir. Ils se voyaient beaucoup, sortaient ensemble. M. Ménage menait Mme de Sévigné au sermon. Si elle avait à solliciter pour un procès, il la menait chez le magistrat. Et il était un peu pédant ; elle n’en était pas embarrassée. Elle lui demandait s’il allait bien ; mais il était enrhumé. « Je la suis pareillement… » Et lui : « Selon les règles de notre langue, il faudrait dire : Je le suis. — Vous direz comme il vous plaira ; mais, pour moi, je ne dirai pas autrement, que je n’aie de la barbe ! » Le 19 août 1652, elle lui écrit : « J’ai bien de l’avantage sur vous ; car j’ai toujours continué à vous aimer, quoi que vous en ayez voulu dire ; et vous ne me faites cette querelle d’Allemand que pour vous donner tout entier à Mlle de La Vergne. Mais enfin, quoiqu’elle soit mille fois plus aimable que moi, votre conscience vous a donné de si grands remords que vous avez é : é contraint de vous partager plus également que vous n’aviez fait d’abord. Je loue Dieu de ce bon sentiment et vous promets de m’accorder si bien avec cette aimable rivale que vous : n’entendrez aucune plainte ni d’elle ni de moi… »

C’est ici que Ménage entre dans la vie de Mlle de La Vergue. Et ces quelques lignes montrent à merveille les trois personnes qu’elles concernent, l’état de ces trois amitiés. De Mme de Sévigné à Ménage, une amitié, chez elle moins ardente et qui, à petit feu, couvera plus longtemps ; d’elle à Mlle de La Vergne, de gracieuses relations, de la sympathie, et la distance qui sépare une femme de vingt-six ans d’une fille de dix-huit ans, si la dernière n’a pas eu envers la première un élan de câline tendresse : et Mlle de La Vergne n’est pas une petite folle de douceur et d’enthousiasme ; entre Ménage et Mlle de La Vergne, il y a la flamme de l’un, toute neuve, et la patience amusée, n’allée même, de l’autre. M. Ménage s’est épris de Mlle de La Vergne : il n’a pas éconduit Mme de Sévigné. Les deux rivales ne se haïront point : il faut que M. Ménage prenne son parti de\ne pas les troubler si fort. Néanmoins, il y eut quelque émulation, — ce n’est pas de la jalousie, — entre elles. Et Tallemant a beau dire qu’elles le trouvent importun, il ajoute : « Mais la vanité l’ait qu’elles lui font caresse. » Dix ans plus tard, M. Ménage imprimait chez les Elzevir d’Amsterdam une jolie édition de ses poésies : le désir lui vint d’y consacrer le souvenir de son double amour. Il écrivit à son ami, M. Pierre-Daniel Huet :