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Quelle que soit l’expérience agricole, comme elle porte sur la vie, le paysan est obligé d’accepter certains collaborateurs, partout et toujours les mêmes, qui sont les grands agents de la vie, chaleur solaire, pluie, lumière, électricité, forces radioactives, les activités microbiennes du sol, cet extraordinaire bouillon de culture. Ce sont, à tout prendre, les conditions de son expérience, qu’il ne maîtrise pas à sa guise : il doit patiemment, ingénieusement s’adapter à elles pour en tirer parti, les incliner à ses fins. Il faut donc qu’il se montre très souple, toujours prêt au changement de manœuvre, souvent improvisateur. Or, ces qualités, par leur degré rare et extrême, touchent à la distinction la plus élevée de l’esprit. Qu’est-ce à dire, sinon que le paysan est à sa manière un artiste ? Et il l’est pleinement, car il adore son œuvre et plus qu’on ne pense en sent la grandeur, la beauté, la poésie.

Le machinisme sera sans doute notre salut dans la crise terrible qui nous attend : c’est dire les espoirs que nous mettons en lui. Mais autour de la machine l’homme doit rester paysan. Il le faut pour cette partie du travail, que la machine ne peut atteindre, encore très étendue, un métier, un vrai métier où l’ouvrier donne sa mesure. Il nous faut aussi des paysans pour résoudre une grave question, qui demain va se poser, très pressante.


Beaucoup de régions comptent sur une main-d’œuvre nouvelle, française ou étrangère, pour maintenir leurs cultures : j’en sais qui ne pourront s’en passer. Mais pour encadrer, conduire, initier, éduquer cette main-d’œuvre, les chefs de chantiers nécessaires et de choix seront les paysans, les vrais paysans, à qui le travail, ses procédés, ses secrets et tours de main sont familiers, comme aussi le climat, le sol, ses exigences, ses traîtrises, car chaque terroir a son individualité, une sorte de susceptibilité, que la tradition apprend à connaître, et telle pratique, bonne en Vendée, peut être détestable en Gascogne. Pour fixer ces nouveaux venus dans le métier, et c’est par-là que les apports nouveaux seront surtout profitables, il faut des éducateurs au vrai sens du mot, des fixateurs de vocation, et nul ne peut l’être si dans le métier il n’excelle. Sur ce point l’expérience a prononcé et chaque jour prononce :