Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêverie, une conversation à bâtons rompus, en prose poétique et lyrique, plutôt qu’un dialogue de scène.

Tels sont ceux des concurrents qui tranchent sur l’ensemble par leur personnalité. Mais c’est par les autres qu’on juge de la nature d’un enseignement, et c’est à eux qu’il faut demander l’impression générale. Or, à voir ce qu’ils font, on est amené à une constatation fort différente de l’opinion généralement répandue. On a coutume de dire que l’enseignement du Conservatoire façonne tyranniquement les élèves et leur met une empreinte désormais ineffaçable. Plût au ciel qu’il en fût ainsi ! Tout au contraire, c’est de cette forte, éducation que la plupart sont cruellement dépourvus. À défaut d’aucun mérite original, ils devraient posséder ce qui s’apprend, le métier ou du moins les éléments du métier, grammaire et orthographe. Ils devraient avoir une diction impeccable : beaucoup d’entre eux ne se font pas même entendre, dans une salle pourtant sonore, des spectateurs les plus rapprochés ; beaucoup ne savent pas dire les vers, et, manifestement, ignorent ce que c’est qu’un vers français. Ils devraient savoir se tenir en scène : ils s’y montrent terriblement gênés. Quand ils sont debout, que faire de leurs bras ? et, quand ils sont assis, que faire de leurs jambes ? là est pour eux la question.

De tels résultats ne sont pas sans m’inspirer quelque inquiétude. Loin que l’enseignement du Conservatoire ait cette autorité impitoyable qu’on lui prête, je craindrais plutôt qu’il ne se fit un peu incertain et flottant. Il est très attaqué ; il l’a toujours été ; mais, depuis quelque temps, ceux qui avaient la tâche de le défendre, s’en sont acquittés mollement. Déjà, ils ont sacrifié les concours publics. Ces concours à la manière d’autrefois étaient un des bastions qui protégeaient la place ; et tous les stratèges vous diront qu’une place risque fort à livrer ses ouvrages avancés. J’admets que, pendant la guerre, on doive continuer à faire passer dans la salle de la rue de Madrid des examens de fin d’année, à la manière confidentielle usitée en ces temps derniers. Mais plus tard, — bientôt, j’espère, — si l’on veut venir au secours de notre art dramatique, très menacé et en voie de se perdre, il faudra réorganiser l’enseignement du Conservatoire, — en le renforçant : la première mesure sera de nous rendre les concours publics dans leur éclat de jadis, entourés à nouveau de tout leur antique et jeune prestige.


RENE DOUMIC.