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J’ai noté que Sainte-Beuve, au début, considéra, la Revue comme sa maison (« La Revue des Deux Mondes, ma patrie depuis longtemps, » a-t-il écrit), et en effet, chaque jour, c’est un billet nouveau, tracé de sa main, et la concernant :

« Voici la note de M. de la Tour du Pin sur Bougie, tâchez qu’elle aille dans l’une ou l’autre de vos Revues, vous qui portez deux mondes. Pour moi, je n’en porte pas un seul, et je suis bien en désarroi de travail…[1] »

Un autre jour : « Je viens de lire la chronique. Je me suis mis à la place de la Revue, à votre place, je n’ai pas eu besoin de beaucoup d’effort d’esprit pour cela. J’ai tâché de me dépouiller.de toute espèce de partialité d’ailleurs. Et je puis vous assurer que je la trouve très satisfaisante, dans une haute et sage direction, prudente et convenable ; si vous renonciez à cette habileté-là, vous feriez une perte irréparable selon moi. Agissez sur le pilote, causez avec lui, chantez-lui une gamme, mais surtout gardez-le[2]. »

Tel est l’avis de Sainte-Beuve vers 1840, alors que la critique, prenant de jour en jour plus d’importance, était, en haut lieu, surveillée et menacée.

C’est encore Sainte-Beuve qui recrute Lamennais et qui annonce ses premiers articles ; déjà, en juillet 1834, il a commenté les Paroles d’un croyant ; deux ans après : « Vous recevrez demain l’article de Lamennais ; il faudra le faire imprimer bien vite ; il passera dans le prochain numéro. » Mais l’ami qui a porté l’article repart lundi, et « il serait bon qu’il pût emporter le prix de l’article qu’il faudrait payer le plus possible, n’est-ce pas ? » Au moment où Hugo, mécontent, se sépare de la Revue, la lettre que F. Buloz écrit au poète, c’est avec Sainte-Beuve qu’il la rédige ; quand G. Sand envoie son roman d’Horace, qui paraît trop « radical-socialiste » au directeur, c’est encore à Sainte-Beuve que le directeur demande son avis. « L’affaire Balzac, dira un jour F. Buloz, dont la colère n’éclata qu’à la suite d’un article de vous, qu’il ne m’a jamais pardonné… etc. »

Maintes notes dans la Revue des Deux Mondes, ou la Revue de Paris, que F. Buloz dirige depuis juin 1834, sont de Sainte-Beuve, sans signature… Le 11 décembre de cette année 1834, il écrit au directeur : «… Je vous enverrai une petite et courte

  1. Inédite.
  2. Inédite.