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Après cette lettre, il y a encore une autre lettre de Marseille à F. Buloz ; mais ici le voyageur est « las » et « si pressé » qu’il « charge sa mère » de lui en dire plus sur son compte : « Je n’ai que le temps de vous saluer du cœur, ainsi que Mme Buloz… Un mot à Lyon… dites-moi comment va la Revue ? »

Enfin, le voici encore de retour à Paris, et tout de suite au travail. Aussi bien a-t-il besoin d’argent.


Cette année 1839 fut, pour la Revue, difficile à traverser. Sans cesse harcelée, et menacée même, par Guizot qui voulait, à cette heure, la rallier. Mais F. Buloz désirait maintenir son indépendance, et s’irritait fort de ces tentatives… Sainte-Beuve, lui, déplore la situation : « On le fait menacer (Buloz) tous les matins de destitution, on veut l’effrayer pour éteindre son opposition… » Quelquefois il s’indigne : « C’est d’un cynisme révoltant… » Bref, F. Buloz obtient une audience du maréchal Soult, alors président du Conseil, et Sainte-Beuve écrit : « Nous sommes occupés d’y rallier (à la Revue) pour le quart d’heure les doctrinaires, M. Guizot, de Rémusat, l’ancien Globe, de faire une vraie coalition (le mot était alors en faveur) de bon sens et de bon goût, et non de passion ; y réussirons-nous ? »

Dans ces occasions, Sainte-Beuve savait prêcher la patience, et vanter à son directeur l’efficacité de vertus que, lui, Sainte-Beuve, ne possédait guère, malgré sa « souplesse ; » il lui écrivait dans un moment de crise semblable à celui-ci : « Je vous en supplie, ne faites pas de coups de tête ni même de coups de cœur, voyez le fond des choses, voyez-les comme vous les verrez dans un mois, ou dans deux au plus tard… Tâchez d’arriver sans rompre et par transaction… »

Et en vérité, tout ceci le démontre avec évidence : Sainte-Beuve fit mieux que de collaborer à la Revue, il la soutint et la défendit, il revendiqua ses difficultés et endossa ses querelles. Il répondit à M. Walewski en 1840, lorsque celui-ci dans son journal le Messager attaqua F. Buloz, et il lui répondit si vertement que, vingt-cinq ans après, M. Walewski se souvint de cette algarade, dont il avait gardé rancune au critique[1].

J’ai encore sous les yeux de nombreux billets de

  1. Voir Lettres à la Princesse, page 175.