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Bülow et à Winzingerode afin qu’ils vinssent au-devant de lui dans la région de Fismes. Par ailleurs, il leur demandait, sur un ton où, malgré son affectation de confiance, perçait l’anxiété, de lui indiquer les points de passage de l’Aisne. Bülow et Winzingerode ne songeaient, eux, qu’à faire tomber Soissons qu’ils abordaient l’un par la rive droite, l’autre par la rive gauche. L’occupation de Soissons par les Français semblait, de l’avis des lieutenants, placer le feld-maréchal dans tel péril qu’il faudrait, si Soissons tenait, un miracle pour l’en tirer.

Blücher, cependant, gagnait précipitamment Oulchy-le-Château, puis Fère-en-Tardenois, courant vers Fismes. Marmont avait, à May, bousculé et repoussé jusqu’à la Ferté-Milon le corps Kleist et n’avait été arrêté à Neuilly-Saint-Front que par la supériorité d’artillerie de l’ennemi. D’autre part, l’Empereur, ayant franchi la Marne à la Ferté-sous-Jouarre, marchait droit au flanc de Blücher. Celui-ci, averti, exigeait de ses troupes des marches folles : en réalité, essayant, avec l’habituelle morgue prussienne, de faire illusion à son entourage, affirmant qu’il était sans inquiétude, ayant tout prévu, il était rongé d’anxiété, haletant de crainte. En admettant qu’il pût garder son avance, non de vingt-quatre, comme il le dit, mais de douze heures, sur l’Empereur, et arriver ainsi avant lui à Berry, il était matériellement impossible qu’il pût, en ce laps de temps, faire passer l’Aisne à toute son armée sur le seul pont de Berry : il risquait donc d’être saisi par Napoléon en flagrant délit de passage, attaqué lorsque son armée, éreintée au témoignage de tous les témoins, serait par surcroît en partie passée sur la rive droite. ! Or, il recevait de Winzingerode avis que celui-ci ayant tenté un coup de main sur Soissons, y avait échoué ; il avait, à la vérité, sommé la place de se rendre, mais il ne paraissait pas espérer grand’chose de cette démarche et promettait, si elle échouait, de rejoindre le maréchal à Fismes sans plus insister.

Blücher dut connaître, en cette matinée du 4 mars, des heures terribles. La résistance de Soissons anéantissait la seule chance que, malgré les affirmations de ses apologistes, il eût d’échapper aux « serres de l’aigle. » Mais en arrivant à Buzancy, à midi, il y reçut une dépêche triomphante de Winzingerode : Soissons avait capitulé : le passage était libre.

La capitulation de Soissons est peut-être l’événement le plus néfaste de la campagne de 1814 et par conséquent l’un des plus