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— Le temps ne peut-il donc enseigner le plaisir
(Le dur plaisir, hélas ! stoïque et monotone),
De contempler l’espoir sans penser le saisir ;
D’aimer que le malheur n’ait plus rien qui étonne ;
De renoncer à vous, ouragan des désirs !
Et de savoir quitter ce qui nous abandonne…


RÊVERIE LE SOIR


Un attelage est arrêté
Dans la rue, où le soir d’été,
Avec ses longs cris d’hirondelles,
Aiguise ses légers couteaux
Sur le cœur, la chair et les os
Qui souffrent de langueur mortelle…
— Le pied du cheval ennuyé,
Que la solitude nargua,
Fait un clapotement brouillé
Dans le vide et dans la tiédeur
De la rue, où traîne une odeur
De poussière et de seringa.
— L’azur est de chaleur voilé.
C’est un de ces soirs dont le calme
Oppresse l’esprit désolé,
Immobile comme une palme.
Et je ne sais quoi d’immolé
Fait qu’en nous plus rien ne résiste
A la faiblesse d’être triste ;
O langueur du cœur et des mains !
— Et je songe, parmi ce dolent examen,
A l’enfance joyeuse où tout est lendemain,
À cette certitude exacte et sans limite
D’être un hôte espéré, que tout l’espace invite,
Qui met, en respirant, le monde dans son cœur.
Je songe à la maison de campagne, amicale,
Dont les corridors sont des méandres d’odeurs.
Je songe à la gaîté d’une chambre en percale,
A cet éclatement de bonheur au réveil !
Aux rideaux contenant le poids d’or du soleil.