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deviendraient inutiles ; mais ce qui serait impardonnable de notre part, ce serait, ayant la possibilité de serrer le nœud, d’y renoncer par je ne sais quelle insouciance, quelle ignorance entêtée de nos forces économiques, ou quel sentimentalisme bêlant.

Il est assurément fâcheux de prévoir le retour, même temporaire, de cette paix armée qui conduisait le monde à l’épuisement. Nous ne pouvons rien à cette fatalité que l’on nous impose. Depuis deux mille ans, les incursions des pillards septentrionaux et asiatiques menacent ainsi périodiquement la civilisation de paix et de lumière. Au XXe siècle, les Barbares se retrouvent toujours les mêmes. Pour les arrêter définitivement, il aurait fallu une organisation vigilante de nos marches avancées, une prévoyance du danger, un réalisme, une cohésion qui nous ont manqué, à nos amis et à nous ; il aurait fallu ne pas avoir dans notre parti autant de théoriciens, de tolstoïsants, de bolcheviks, de défaitistes. Le sort en est jeté : nous n’avons plus qu’à poursuivre le combat.

Montrons aussitôt la compensation. Cette résolution, fermement prise et publiquement annoncée de poursuivre l’après-guerre avec un esprit de décision implacable n’est pas seulement le moyen d’empêcher les guerres futures ; elle est aussi peut-être notre ressource la plus efficace pour réduire la durée de celle-ci. Les Allemands ont beaucoup de défauts ; mais on ne saurait leur refuser des qualités de calculateurs pratiques. La guerre est, pour eux, une affaire. Ils la continuent, tant qu’ils ont l’espoir d’y réaliser un bénéfice, ou tout au moins de sauver leur mise. Leur démontrer qu’en la poursuivant ils s’exposent à des représailles économiques, contre lesquelles, quoi qu’il arrive, leurs armées ne pourront rien, puisqu’elles n’ont aucune prise sur les États-Unis, sur les Dominions anglais, sur l’Amérique du Sud, sur le Japon ; leur prouver que notre bloc ne se divisera pas (ce qui reste leur principal espoir), ce serait accélérer la paix 1 Ils vont avoir, comme nous, d’énormes besoins à satisfaire ; ils le savent et ils en sont très préoccupés ; il s’agirait de leur faire comprendre que les Alliés ont le moyen de se servir avant eux ; et que, plus la guerre se sera trouvée prolongée, plus nos besoins seront accrus, plus par conséquent la période de transition sera longue et plus le moment où eux, Allemands, pourront à leur tour s’installer à