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poêle chauffé au bois, entretenu nuit et jour par le provodnick. (En Russie un homme est affecté à chaque wagon et ne le quitte jamais.) Je renonce à dépeindre l’état de saleté dans lequel, je trouvai le train où nous devions passer quatorze jours. Etait-ce là ce « train spécial » commandé exprès pour nous, en vue des réceptions officielles qui nous étaient promises à chaque station ? Ainsi nous commencions à goûter la joie de vivre dans un pays qui venait de secouer le joug de la tyrannie.

Pendant la journée qui nous fut nécessaire pour embarquer bagages et matériel, nous eûmes la chance de rencontrer le chef révolutionnaire de l’endroit, un marin nanti d’une véritable tête de bull-dog. Interviewé par un colonel anglais, qui se trouvait avec nous ; et qui, parlant fort bien le russe, avait voulu s’informer de leur programme, il lui débita incontinent une longue tirade, sans doute apprise par cœur, dans laquelle revenait sans cesse le mot de liberté ; puis il proclama la nécessité d’abolir toutes traces de l’ancien régime, et termina en vantant l’institution de la République, ou plus exactement la montée sur le trône de la République. Intrigué par cette réponse, le colonel lui-demanda ce qu’était cette République : « Ce doit être, hasarda-t-il, la femme de quelque grand-duc, mais je ne l’ai jamais vue. » Je garantis l’authenticité de ce propos.

Installés tant bien que mal, et plutôt mal que bien, nous ne tardions pas à quitter ce pittoresque pays de Mourmansk, non sans avoir été faire de nombreuses photographies de ces petits Lapons vêtus de peaux de bêtes cousues autour d’eux, et coiffés de si drôles de petits chapeaux chinois.

La voie qui traverse la contrée accidentée qui s’étend de Kola à Petrogawosk est un modèle du genre d’installation ultrarapide. Le pays, excessivement montagneux, évoque tout de suite l’idée de ce qu’on appelle en effet des « montagnes russes. » Il fallait donc, Arkhangel étant gelé de fin octobre à fin avril, trouver un port qui pût permettre aux Alliés de continuer à envoyer en Russie, pendant cette longue période, tous les matériaux qui manquaient. En raison du passage du Gulf-Stream, le port de Kola ne gèle jamais au point de gêner la navigation : c’était le point de débarquement tout indiqué. Restait à créer une voie ferrée pour le desservir. Bravement, sans reculer devant d’innombrables difficultés, les Russes se