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délicieuses ni de chœurs plus harmonieux. Cette mélopée grave et triste agissait sur nous étrangement ; ajoutez l’impression de vide produite par l’immensité des plaines environnantes où brillaient des milliers de feux de bivouacs, un silence impressionnant troublé seulement par le hennissement des chevaux, avec de temps à autre l’accompagnement de l’artillerie… Quelle invite à la plus poétique des rêveries, si nous n’avions pas eu la sensation d’assister au premier acte d’un grand drame !

Un soir, les Cosaques s’étaient mis à chanter une sorte d’hymne, plus lent, plus majestueux que les autres ; je fis celle remarque que leur accent avait quelque chose de religieux. Soudain je les vis se regarder : ils se turent, et puis partirent d’un grand éclat de rire. Le colonel, qui parlait le français comme le parlent tous les Russes instruits, c’est-à-dire sans une faute et sans le moindre accent, me donna l’explication. « C’est, me dit-il, l’hymne au Tsarévitch… et ils viennent de se souvenir qu’ils sont en république. »


LA DÉBÂCLE

Ce fut un coup de foudre.

Le 22 juillet, un régiment qui, à hauteur de Tarnopol, tenait un front assez étendu, manifesta soudain l’intention d’aller au repos. Le comité ayant déclaré que cette idée était louable, ces bonnes gens partirent sans plus attendre. L’état-major chercha bien à faire venir des troupes de l’arrière pour les remplacer, mais pas assez à temps pour que les Allemands, aussitôt prévenus du trou qui venait de se produire, ne fissent immédiatement une avance de plus de 15 kilomètres. D’ailleurs, ils étaient renseignés sur tout ce qui se passait à l’intérieur et leurs avions, volant très bas, avaient suivi au jour le jour, ce qui les intéressait tout particulièrement : les progrès de la récolte Les blés de la Galicie, cet immense grenier, étaient fauchés, liés, séchés ; restait à venir les prendre, ce qui ne tarda pas : c’était le but principal de leur avance. Celle-ci, nous en eûmes une fois de plus la preuve, avait été préparée à l’arrière comme à l’avant ; car on vit aussitôt arriver de l’intérieur de nombreux camions chargés d’émissaires qui hurlaient aux dépôts de vivres et de munitions, et aux réserves : « Sauve qui peut ! La cavalerie allemande a enfoncé nos lignes (vers Tarnopol) et se rabat