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Ukrainiens et Autrichiens ont beaucoup d’affinités de sentiments ; de plus, en temps de paix, des rapports commerciaux et même des liens de famille s’étaient forcément établis entre les deux pays limitrophes. Si les Petits-Russiens étaient bien disposés pour nous, ils ne se sentaient aucune animosité contre les Autrichiens. Ajoutez que la plus grande partie de l’armée autrichienne s’était rendue à Broussiloff en 1916 et était actuellement en liberté, vaquant à toutes sortes de travaux à Kiew et dans toute l’Ukraine. La Rada ne demandait pas mieux que de rester en bonnes relations avec la France, mais ses soldats entendaient ne pas continuer la guerre en général, et la guerre à l’Autriche en particulier. De plus, pour subsister, ce gouvernement avait dû faire d’énormes concessions à l’élément populaire et promettre en quelque sorte le paradis sur terre, de sorte que comités et soviets existaient toujours ; l’exercice de l’autorité ne pouvait donc y être que très précaire. La France avait pour programme : « paix chez vous et guerre à l’extérieur, » tandis que l’Autriche disait : la paix partout. En outre, elle garantissait l’appui de ses troupes pour le cas où les bolcheviks, une première fois chassés, menaceraient d’un retour offensif. Dès maintenant elle faisait des offres pour la reprise immédiate des affaires entre les deux pays. La France malheureusement ne pouvait donner qu’un peu d’argent et beaucoup de conseils.

Il advint qu’abusés par cet essai de regroupement, beaucoup d’officiers de tous grades et de toutes armes se réunirent à Kiew, suppliant les Français de les enrôler, ne fût-ce que comme simples soldats, pour chercher à maintenir un front quelconque. Mêlas ! le mal était trop grand, et, pour soulever cette masse immense, le levier était trop faible et surtout sans point d’appui sérieux. C’était bien fini : personne ici ne voulait plus se battre. Combien de fois ai-je entendu des gens de l’endroit, parmi les plus influents et les mieux renseignés, s’étonner de notre insistance ! Les voyageurs de commerce d’outre-Rhin circulaient déjà partout, au vu et au su de tout le monde, prenant des commandes et fixant des dates de livraison. « Pourquoi, nous disait-on, vous obstiner quand tout le monde ne parle que de paix ? Pourquoi donner de l’argent qui, reçu d’une main, vient retrouver dans la poche du même individu l’argent allemand reçu de l’autre main, et même en