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de l’Aisne va tenir à une tout autre cause, qu’aujourd’hui, il n’y a aucun inconvénient à indiquer puisqu’elle a été proclamée à la tribune même du Parlement : la soudaine paralysie de l’action par l’absence de munitions d’artillerie. En 1914, il était impossible, il eût été criminel, on le comprend, de dire sur ce point la vérité : l’état-major français se trouva donc obligé d’admettre en apparence l’explication de l’état-major adverse dont l’orgueil s’accommodait fort de ces fameuses « positions formidables préparées à l’avance, » car la légende lui permettait de traiter de « combats d’avant-gardes » les batailles de la Marne : les « positions formidables de l’Aisne » prouvaient que là seulement l’« incomparable armée » avait entendu affronter les Français après les y avoir attirés : ainsi était restauré le prestige de son infaillibilité stratégique comme de sa supériorité tactique. Le malheur est qu’il n’y avait pas de positions formidables et même fort peu de positions préparées ; mais la légende, grossie de détails romanesques, plut à tous, y compris la mirifique histoire de Klück venant, dès 1913, explorer, en touriste, les champignonnières de l’Aisne.

Ce qui est vrai, c’est que l’armée allemande, battue et décontenancée du haut en bas, n’eût même pas tenu sur ce massif, si, pressée vivement par une armée à la fois résolue et fraîche, elle n’avait pas eu le temps de s’y asseoir. Mais notre armée arrivait fatiguée, de l’aveu de ses chefs, jusqu’à l’hallucination, privée d’une partie de ses cadres par suite du véritable massacre d’officiers qu’avaient vu les premières semaines de guerre, retardée par ces embarras que signalent la plupart des généraux et par un temps devenu affreux, enfin décontenancée par des barrages d’artillerie lourde que nos 75 ne purent, — et pour cause, — faire cesser.

Les Allemands qui, très probablement, n’excluaient pas de leurs hypothèses l’abandon du massif s’ils y étaient talonnés, eurent quarante-huit heures pour s’y retrancher et, s’il s’agit de certaines parties déjà abandonnées, pour y revenir. Les habitants de Chermizy, — de l’autre côté de l’Ailelle, — ont vu les Allemands en retraite sur Laon le 12, ne refluer vers le Sud que passé le 14 et refranchir la vallée de l’Ailette. C’est que, d’une part, ils voyaient Anglais et Français aborder en général avec hésitation la base même de la falaise ; c’est surtout