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yeux » peuvent « assujettir le plus puissant des dieux. » Elle avait les yeux beaux et brillants ; mais de quelle couleur ? Ménage ne l’a pas dit. Et ses cheveux ? Ménage, une fois qu’il imagine en latin la mort et les funérailles de Ménage, se souvient de Properce qui appelle Cynthie à suivre sa dépouille ; il convoque les femmes qu’il a aimées, et Mme de La Fayette : Flebit et effusis nostra Laverna comis. Elle aura les cheveux épars, en signe de deuil. Voilà tout ce qu’il dit de ses cheveux et ne dit pas s’ils étaient bruns ou blonds. Et il vante ses belles mains, habiles à toucher le luth et l’angélique. Il vante « de son beau teint la fraîcheur immortelle, de son beau sein la blancheur éternelle… » Blonde, peut-être ?… Il parle, — et peut-être ceci est-il à noter plus attentivement, — de son « port hautain » qui « n’est pas d’une mortelle. » Et il l’a vue « pompeuse au milieu de la danse, » parmi les autres jeunes filles, pareille à Diane invitant les nymphes à danser. Elle était sans doute assez grande et avait une allure de gracieuse noblesse. Grande, belle, un peu souveraine… C’est probablement cela que Retz entend par « beaucoup d’air de Mme de Lesdiguières. » Ceci encore : elle plaît aux hommes, ainsi que Ménage le dit presque un peu vivement : Tu cunctis sensus surripis una viris

Un jour, dit Tallemant, cette « petite de La Vergne, » au bal ou dans quelque assemblée, vit Roquelaure s’approcher et se mettre à côté d’elle. Et elle savait comme pas une les histoires de Roquelaure ; elle savait aussi qu’on lui trouvait beaucoup d’air de Mme de Lesdiguières : le cardinal ne le lui avait pas caché. Elle n’était point timide. Elle dit à Roquelaure : « Monsieur, prenez garde à la ressemblance. » Et lui : « Mademoiselle, prenez-y garde vous-même. » Comment elle reçut l’impertinence, on le devine, à la manière dont elle l’avait provoquée… Lorsque mourut Mme de Lesdiguières, on parla de Mme de Launay Gravé pour lui succéder dans sa charge de cour ; et Mme de La Fayette écrivait alors à Ménage : « J’estime infiniment Mme de Launay Gravé, quoique je ne la connaisse point ; mais j’aurais peine à consentir de lui voir remplir la place de Mme de Lesdiguières : il me semble qu’il n’y a personne en France qui le puisse faire. » Ces lignes sont charmantes, si l’on y voit, de la part de Mme de La Fayette, avec tant d’amitié pour le souvenir de Mme de Lesdiguières, un peu d’amitié pour une image d’elle-même. C’est