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de bronze, » et les sons qu’il en tira, les derniers, furent les plus profonds et les plus purs.

« Il faut qu’il croisse et que je diminue. » A l’égard de Verdi, Boito n’a pas eu d’autre volonté, n’a pas suivi d’autre loi.

« La servitude volontaire que j’ai consacrée à cet homme juste, noble entre tous et vraiment grand, est l’acte de toute ma vie dont je me félicite le plus. »


Ailleurs, en réponse à des pages écrites par nous sur Otello et sur Falstaff :


« Etre son fidèle serviteur et celui de l’Autre, qui naquit sur les bords de l’Avon, je ne souhaite rien de plus. Le grand vieillard bénit tes paroles ; elles sont paroles de vérité, comme ses notes, que tu as bénies…

« Je sens le besoin de te dire merci d’avoir bien voulu trouver une place pour mon nom à côté du sien dans un coin bien intime de ta pensée. Rien ne me touche plus profondément que de m’entendre nommer quand on parle de Lui…

« Celui qui admire a la meilleure part. L’autre, pendant qu’il crée, souffre, gémit (j’aime à le croire…). Exception faite pour les compositeurs qui étalent avec orgueil leur fécondité d’insectes et vivent dans la plus souriante autolâtrie. Mais à celui qui admire, tout est jouissance, jouissance sans écart et sans limite. »


Comme il le comprenait, son maître bien-aimé, comme il jouissait de le comprendre et souhaitait qu’il fût compris ! Il nous écrivait, à propos de Falstaff, que nous n’avions fait que lire encore :


« Ah ! ce Falstaff ! Combien vous avez raison d’aimer ce chef-d’œuvre ! Et quel bienfait pour l’art, quand tous arriveront à le comprendre !… Ce que vous ne pouvez pas vous imaginer, c’est l’immense joie intellectuelle que cette comédie lyrique latine produit sur la scène. C’est un vrai débordement de grâce, de force et de gaîté. L’éclatante farce de Shakespeare est reconduite par le miracle des sons à sa claire source toscane de Ser Giovanni Fiorentino. Venez, venez, cher ami, venez entendre ce chef-d’œuvre ! Venez vivre deux heures dans les jardins du Décaméron et respirer des fleurs qui sont des notes et des brises qui sont des timbres. »