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Enfin, comme nous devions un jour parler de Verdi, Boito nous donnait ce conseil :

« Commencez par :

Primavera, gioventú dell’ anno,


par un hymne à la vie, car personne n’a mieux compris, n’a mieux exprimé le sens de vivre. Il était homme parmi les hommes, et il osait l’être. On lui aurait offert d’être un dieu, qu’il aurait refusé, car il aimait se sentir humain dans le cercle ardent de l’épreuve terrestre. »


Impossible de définir avec plus de force, en moins de mots, le génie du maitre. Et quand on médite les paroles du disciple, on se demande ce qui les fait plus belles, si c’est l’esprit ou le cœur, la poésie ou l’amitié. Boito fut de ceux qui comprennent et connaissent, mais peut-être encore plus de ceux qui aiment : « Oh ! ces nobles amours de l’intelligence, écrivait-il, ni l’égoïsme, ni la jalousie ne les peuvent troubler. Au contraire, leur flamme grandit avec le nombre des aimants. » Cette flamme, qui l’anima toujours, il n’était jaloux, comme le coureur antique, que de la transmettre. Un Verdi fut son maître, mais un Palestrina, un Bach, un Beethoven, un Shakespeare, — nous l’avons vu, — un Dante, un Dante surtout, furent ses dieux. Pour une étude, que nous préparions alors sur Dante et la musique, Boito nous envoya jadis une véritable « Somme » poétique et musicale. Nous en avons ici même, naguère, publié le préambule, mais les lecteurs de la Revue nous sauront gré de le leur rappeler :


« Il ne s’est pas trouvé jusqu’à présent, à travers six siècles de lecture, un lecteur assez musicien pour concevoir la beauté de ce thème et la nécessité de le proclamer…

« Dante a créé la polyphonie de l’idée ; ou, pour mieux dire : le sentiment, la pensée, la parole s’incarnent chez lui si miraculeusement, que Cette trinité ne fait plus qu’une unité, qu’un accord de trois sons, parfait, où le sentiment (qui est l’élément musical) domine. La divination par laquelle il choisit la parole, la place que cette parole occupe, ses liens mystérieux avec les vocables, les rythmes, les assonances, les rimes, qui précèdent et qui suivent, tout cela, et quelque chose de plus arcane encore, donne au tercet de Dante la valeur d’une