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résistance, — que charger l’artillerie lourde de détruire avant toute attaque ces fortifications de campagne de l’ennemi avait deux inconvénients ou plutôt trois.

D’abord, de par sa nature même, sa difficulté de transport et d’installation, elle ne peut tirer que de loin, de plusieurs kilomètres de distance en général. Il s’ensuit que la dispersion des coups qui augmente, comme on sait, avec la distance, est assez grande de ce fait même, et qu’il faut aux canons lourds en général, un bon nombre de projectiles pour atteindre un objectif linéaire comme une tranchée. D’où grande dépense. Ensuite, lorsqu’une première ligne de tranchées était détruite, — on l’a bien vu lors de la première offensive de la Somme, — il fallait un temps assez long pour prendre les dispositions nécessaires à la destruction de la suivante, si bien que l’ennemi avait le temps de créer une autre ligne plus en arrière et que le problème de la percée devenait un cercle vicieux. Enfin, tout cela, — projectiles et canons lourds, — coûtait cher.

On avait si bien senti, à l’imitation des Allemands, que le canon tirant de loin était insuffisant pour la destruction de la tranchée que nos troupes depuis 1915 étaient dotées de tout un matériel d’artillerie de tranchée dont le canon de 58 fut longtemps le plus répandu. Mais avait-on assez développé d’abord l’artillerie de tranchée en fonction de la lourde ? A cet égard M. André Tardieu, dans une interview donnée à la presse américaine, a fourni des chiffres intéressants : « Lors de la dernière offensive[1], a-t-il dit, nous avons envoyé par mètre courant de tranchée, 407 kilogs de projectiles au moyen de nos canons de campagne, 203 kilogs au moyen d’engins de tranchée, 704 kilogs avec notre artillerie lourde et 728 kilogs avec notre artillerie lourde à grande puissance. » Ainsi notre artillerie lourde, tirant de loin, a envoyé sur les tranchées une masse de projectiles quatorze fois plus grande que les engins de tranchée eux-mêmes. Or, le prix de revient et la durée de fabrication d’un coup d’engin de tranchée sont, si on tient compte du prix du matériel, au moins dix fois plus faibles, en moyenne, que ceux du même coup lancé par l’artillerie. Et alors la question se pose : si la même somme globale avait été dépensée en majorité pour alimenter une artillerie de tranchée, de combien de millions de projectiles supplémentaires les tranchées allemandes n’auraient-elles pas été arrosées ? Et quelles n’en eussent pas été les conséquences ?

  1. Il s’agit de l’offensive du 16 avril 1917.