Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

femme » et qui y relate une aventure dont les lecteurs guérandais, auxquels le récit fût largement communiqué, durent se repaître avec commentaires malicieux et force mines scandalisées.

Le jeune Nancéien Coguel est plus réservé dans ses confidences ; sa relation n’en est pas moins très précieuse : il rapporte comment, à l’heure de la sortie des spectacles, les filles du Palais-Royal, en costume de gala, viennent sous les arcades « exercer le pouvoir de leurs charmes. » Elles déambulent « avec un tel air de décence que l’étranger, qui n’est point au fait de leurs habitudes, leur accorde tous ses respects ; mais, dès que le but de leur promenade est atteint, elles emmènent « leur proie » dans des grottes souterraines où l’on sert des soupers délicieux « tellement chers que, si l’on n’y est attentif, on vide sa bourse sans s’en douter. » Le pudique Lorrain « tire le rideau » sur la suite du tableau ; mais il lui arriva, quelques jours plus tard, de rencontrer dans un café où il s’était réfugié à cause du mauvais temps « une femme fort aimable dont la conversation était aussi variée qu’instructive, car elle connaissait les seigneurs de la Cour et nous raconta sur plusieurs d’entre eux des anecdotes et des particularités intimes qui nous firent apprécier le néant des grandeurs. » Quant au camarade Thiry, il lui advint de lier connaissance avec « une petite bourgeoise fort avenante, rencontre qui lui rapporta, parait-il, quelque agrément, et ne lui coûta qu’une galette et une bouteille de limonade[1]. »

Les distractions galantes du faiseur de bas méritent plus d’attention et nous ouvrent, sur la facilité des relations et la confusion des classes à la fin de l’ancien régime, des aperçus assez déroutants. Cet artisan n’est pas un naïf, quoiqu’il ait complété le récit de son voyage de 1789 par la liste de tous les numéros sortis des tirages de la loterie, à dater du 13 frimaire an VI jusqu’à l’an XIII inclusivement ; il n’est pas illettré, encore que son orthographe soit, paraît-il, des plus personnelles ; sans être artiste, il prétend se connaître en peinture, en dessin et en musique ; il n’est point riche, puisqu’il voyage très économiquement et se prive de souper quand personne ne l’invite ; mais il n’est pas du tout « regardant ; » les affaires

  1. La vie parisienne sous Louis XVI, 15, 16, 17.