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On les a leurrés de promesses libérales auxquelles les militaires et les hobereaux prussiens ont opposé sèchement leur veto. Ils sont, à l’heure qu’il est, déçus, aigris, mais sans autorité. Leurs divisions augmentent leur faiblesse ; leur soumission à l’autorité impériale a énervé leur force de résistance et leur puissance d’opposition ; leur complicité avec le pouvoir les a rendus presque inoffensifs. Vraiment si c’est sur eux qu’on compte pour changer la mentalité allemande, un pareil miracle ne trouverait aujourd’hui que des incrédules.

Il y a bien quelques écrivains et non des moindres, le professeur Hans Delbrück et Maximilien Harden entre autres, qui prophétisent des temps nouveaux en Germanie. Le professeur annonce que les promesses des Hohenzollern devront être tenues, comme l’ont été, — tant bien que mal, — celles des princes confédérés, qui s’engagèrent en 1813 à donner des constitutions à leurs sujets, afin de les enrôler dans la lutte suprême contre Napoléon. Mais que nous importe que le suffrage universel soit octroyé à la Prusse sans les garanties du régime parlementaire ? Aurait-il le pouvoir de retourner des esprits, pervertis par l’enseignement enflammé des écoles et des universités ? N’allons pas nous illusionner, en vrais Latins que nous sommes, sur la vertu d’un mot ni sur l’énergie d’un corps de représentants aux prises avec l’autocratie la plus formidable qui ait surgi à l’époque moderne, parce qu’elle puise sa force dans une organisation militaire sans égale en aucun siècle.

Le temps est un grand maître. Il peut libérer et rendre à la raison les cervelles allemandes. Mais on commettrait une grave erreur en essayant de précipiter son action. Le président Wilson, dans un de ses manifestes, a séparé la dynastie des Hohenzollern du peuple lui-même ; il rejette sur la première l’odieuse responsabilité de l’agression. L’histoire ratifiera sans doute cette opinion, en associant dans son verdict la caste militaire et la légion des intellectuels au souverain, lequel, — les événements l’ont démontré, — leur a servi volontairement d’instrument. Mais cessons d’instiguer les Allemands contre la maison impériale et le militarisme qui les oppressent. Ils nous répondraient comme la femme de Sganarelle, qu’il leur plaît d’être battus. Il n’y a pas de meilleur moyen de grandir l’Empereur aux yeux de ses sujets et d’affermir leur foi opiniâtre dans leurs institutions militaires, que de les vouloir démolir. Laissons le