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Voilà les deux systèmes inconciliables qui resteront encore en présence, si la guerre ne réussit pas à supprimer l’un d’eux, ce qui me paraît invraisemblable ; voilà les deux adversaires, qui se maintiendront l’un en face de l’autre, épuisés par une lutte titanique, qu’aucune imagination n’aurait pu concevoir, à moins d’être visitée par les visions de l’Apocalypse.

Je ne fais, d’ailleurs, que transposer ici, en leur donnant leur véritable sens, les paroles prononcées par Guillaume II au banquet du trentième anniversaire de son avènement. Il définit hardiment la guerre non plus une lutte nationale pour la défense de l’Allemagne, — cet absurde mensonge a vécu, — mais le conflit gigantesque de deux conceptions rivales, la doctrine prussienne et la doctrine anglo-saxonne. C’est en effet le vrai point de vue d’où il faut juger les événements en cours et l’avenir qui va en résulter. Mais le Kaiser n’a pas osé pousser la franchise jusqu’à exposer crûment les dogmes de l’impérialisme prussien. Il cherche encore à nous donner le change : il dénonce « la politique d’argent, » « le culte du veau d’or » de l’Angleterre ; il revendique le droit, l’honneur, la liberté, comme les attributs de la morale allemande. Là-dessus nous sommes tous fixés. En outre il confesse qu’il savait, dès le début de la guerre, quelle signification elle aurait. J’ai été des premiers à signaler, naguère, les arrière-pensées de Guillaume de Hohenzollern, lorsqu’il déchaîna le fléau mortel. Aujourd’hui il lui plaît de les avouer : habemus confitentem reum. Ce que je veux surtout retenir de ses aveux, c’est l’hostilité des deux concepts qui se disputent l’empire du monde.

Comme l’histoire n’est souvent qu’un recommencement après les tragédies les plus variées, un état d’équilibre se créera fatalement en cette Europe bigarrée, où la diversité des races oppose une digue insurmontable à l’hégémonie d’une seule nation.

En vue de tenir en bride les Empires centraux et leurs acolytes éventuels, de résoudre le problème de la protection des faibles, d’assurer la conservation du statu quo européen et de préparer un avenir meilleur, les Alliés « éprouveront le besoin de ne pas se séparer après la victoire, » comme l’a dit M. Ribot. Une ligue est à prévoir autant qu’à espérer entre les États démocratiques, qu’un idéal commun et un même intérêt de défense ont rassemblés contre la grandeur du péril germanique,