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mouvement qui poussera les autres travailleurs à se tendre des mains fraternelles ? La vague pacifiste se brisera-t-elle toujours contre le « rocher de bronze » du militarisme prussien ? La rhétorique mystico-guerrière de Guillaume II, qui nous fait pitié, ne finira-t-elle jamais par faire horreur à son propre peuple ?

Tout le problème de la paix est là, car le pacifisme de nos socialistes n’aurait d’autre lendemain, après son triomphe, qu’une facile conquête de l’Europe désarmée, si les sujets du Kaiser étaient seuls à conserver leur poudre sèche. Il se peut que le peuple allemand, en proie aux mêmes rancœurs contre la guerre que les autres humains, échappe plus tôt que je ne le crois à l’étreinte des Hohenzollern. Il n’est pas impossible que le troupeau servile soit las, à la fin, de ses durs bergers et de leurs chiens de garde. Mais auparavant il faudrait qu’aux jeûnes et aux misères, subis en vain pour posséder la victoire, s’ajoutassent chez nos ennemis les souffrances de l’après-guerre et les déceptions de la paix : détresse économique, concurrence plus rude des autres pays, stagnation de l’industrie, diminution des salaires, aggravation des charges fiscales. Le peuple allemand s’en prendrait alors, — du moins peut-on l’espérer, — à ceux qui ont dissipé stupidement sa richesse et détruit son bien-être, en le jetant à la poursuite de leur rêve monstrueux. Jusqu’à ce que cette libération se soit accomplie et pendant la période d’incertitude qui suivra la proclamation officielle de la paix, les gouvernements responsables de son maintien feront sagement de ne pas se départir un seul jour de la vigilance et des précautions que n’avaient pas su observer leurs devanciers.


BEYENS.