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Le propriétaire affirma que c’était chose impossible puisqu’il s’était réfugié dans la cave avec les siens depuis onze heures et demie, et avait fermé à clef toutes les portes derrière lui. Le soldat insistant, le paysan « le traita de menteur, dit le rapport que j’ai entre les mains, et pria l’officier de se rendre compte par lui-même de la vérité de ce qu’il avançait. Huit hommes furent désignés pour visiter la maison de fond en comble sous la conduite du fermier. » Ils n’y trouvèrent personne.

Mais pendant ce temps, un des soldats allemands demeurés dans la cour de la ferme prétendit qu’un coup de feu était parti d’une petite maison voisine de la maison d’habitation. Sans autre enquête, le capitaine fit tirer sur les fenêtres, puis mettre le feu à la paille qu’on avait étendue dans les pièces pour les blessés. La maisonnette flamba comme une torche, et quand le fermier sortit de chez lui, suivi de ses huit « enquêteurs » il vit que la ferme entière était sur le point de brûler. Sa nièce, qui s’était précipitée au dehors pour chercher les pompes à incendie, fut repoussée brutalement par les soldats qui lui dirent : « Arrière, fille effrontée ! » Plus loin, on arrêtait des habitants, hommes et femmes, on les frappait, on les ligotait, on les emmenait sur Illfurt… Durant cette première journée, les Allemands ne brûlèrent que deux maisons, des écuries et une grange, puis quittèrent le village.

Le 14, ils revinrent ; le 15, de grand matin, une voiture à bagages arrivant de Kingersheim, allant sur Bourtzwiller, conduite par des soldats d’un régiment wurtembergeois, parut en vue de l’église ; une patrouille du 136e régiment d’infanterie allemande tira sur elle ; un dragon, Alsacien de Ribeauvillé, qui passait sur la route, fut tué. Alors se passa une scène effroyable : « Vers l’église, dit le rapport déjà cité, se trouve la maison de Benjamin Scholt. Réveillé par les coups de feu, le propriétaire se leva et, en prévision de l’orage, il sortit avec ses garçons de ferme, une lanterne à la main, pour mettre à l’abri ses voitures chargées de blé. Comme il entendait siffler les balles, il revint sur ses pas en courant, pour se mettre en sûreté à la cave avec les siens. Les soldats du 136e régiment prétendirent qu’il avait tué le dragon, mirent le feu à sa ferme et le firent prisonnier avec toute sa famille, sa femme qui était dans une situation intéressante, et ses cinq enfants dont l’aîné