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employés à la construction, ces péages, créés pour satisfaire le besoin de circulation, semblaient désormais lui faire obstacle ; ils étaient devenus odieux depuis qu’on ne les jugeait plus indispensables.

Nous avons au XXe siècle des routes et des ponts sans péages, nous n’en concevons même pas d’autres ; nos aïeux avaient, aux temps féodaux, des péages et pas de routes : les péages ayant été d’ailleurs beaucoup plus faciles à établir que les routes, les barrières s’étaient avec profusion hérissées sur tout le territoire devant les voyageurs et les marchandises. Le modique prix de vente des péages, — souvent quelques centaines de francs, — rapproché du tarif élevé des « pancartes » nous apprend que la circulation devait être insignifiante sur la plupart des voies rurales. Dans les centres urbains les perceptions accusent d’une date à l’autre de singuliers écarts : celle de Montélimar, de 8 600 francs en 1322, s’élève à 43, 200 en 1487 et ne rapportait plus que 20 000 francs en 1579 : celle de Bergerac, de 665 francs au milieu du XVIe siècle, tombe à 30 francs en 1586 et remonte en 1614 à 2 140 francs.

Ces taxes étaient parfois temporairement suspendues ou modérées : on promet, en 1240, aux gens de Toulouse et de tout le comté « que jusqu’au 24 juillet il ne sera levé sur eux aucune autre maltôte » que les 2 francs de Bordeaux. An xm0 siècle en effet, avant d’entrer à Bordeaux, les vins payaient au moins trois impositions principales, sans compter les accessoires et les droits de sortie comme cette branche de cyprès, cueillie sur la côte du Cypressac, que le seigneur de Rauzan délivrait, moyennant une légère redevance, aux navires quittant le port et qui équivalait à un laissez-passer. Cet usage de 1280 subsista jusqu’à la Révolution.

Au cours des âges le commerce changeait ses routes et leur direction était influencée par les taxes de passage : la décroissance de l’une d’elles, dit un prévôt du XIVe siècle en Champagne, « tient à ce que les gens qui devaient le péage s’en vont par ailleurs. » L’effort des seigneurs pour obliger à passer par leurs bureaux, celui des marchands pour s’y dérober, firent adopter des chemins qui, plus tard, parurent déraisonnables : au commencement du XVIe siècle, en Franche-Comté, les marchandises gagnaient directement les montagnes du Jura par les défilés de Saint-Claude pour éviter les péages d’Augerans.