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II

C’est alors que s’est produite la catastrophe bolcheviste. Devant cette nouvelle révolution, quelle allait être l’attitude des Tchéco-Slovaques ?

Il n’était pas à craindre qu’ils voulussent pactiser avec elle. Entre eux et les bolcheviks, tout creusait un infranchissable abîme. Les Tchèques sont des hommes d’action, et non des bavards charlatanesques, — des hommes tenaces, et non de changeantes girouettes, — enfin et surtout des ennemis irréductibles de l’Allemagne. Quand bien même ils n’auraient pas été séparés des bolcheviks par des divergences essentielles de nature, du moment qu’ils les voyaient ou dupés ou achetés par les Allemands, c’en était assez pour exciter leur défiance. Un bloc germanisé ne leur dit jamais rien qui vaille.

Allaient-ils donc prendre ouvertement position contre la faction maximaliste, intervenir à main armée dans la lutte des partis ? Certains d’entre eux y ont songé, et l’on y a songé pour eux. Ils ne l’ont pas fait cependant, et cela sur le conseil de M. Masaryk. Certes, celui-ci ne peut être suspect d’indulgence pour le bolchevisme. Avec sa rectitude d’esprit et de conscience, avec sa précision de savant et d’historien, avec ce noble désintéressement qui lui a fait tout sacrifier, fortune, patrie, famille, pour venir travailler avec nous au triomphe du Droit, M. Masaryk est aux antipodes des intrigants cyniques qui s’appellent Lénine ou Trotsky. Il hait l’Austro-Allemagne, et tout ce qui la sert. Celui qui écrit ces lignes n’oubliera jamais les paroles si sobres, mais si pleines, par où s’est exprimée cette haine, un jour que des amis français lui offraient leurs vœux pour sa cause : « Je ne vous ferai pas de discours, messieurs ; ma réponse sera celle d’un homme qui, toute sa vie, n’a eu qu’une idée : vaincre l’Allemagne. » Ces deux ou trois mois, dits d’une voix grave et sourde, mais singulièrement prenante, révélaient une âme profonde en même temps qu’une-volonté toujours tendue. — Seulement, à la fin de 1917, M. Masaryk a pensé que le rôle des Tchèques, hôtes du sol russe et naguère prisonniers, n’était pas de se mêler par le fer et le feu aux convulsions de la Russie révolutionnaire. Il s’est dit qu’une agression de leurs troupes contre les bolchevikes