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armées alliées ne pouvait être du goût des bolcheviks, qui n’aimaient ni Alliés ni Tchèques. Ils ont mis beaucoup de temps et peu de bonne grâce à accepter le point de vue que nous venons de définir. Ils s’y sont résignés parce qu’ils ont eu peur : les Tchèques, très nombreux, bien disciplinés, résolus à se faire rendre justice à tout prix, étaient une force qui pouvait devenir redoutable. Les bolcheviks, dont le pouvoir a toujours eu quelque fragilité, ont mieux aimé ne pas s’exposer à un conflit dont ils ne seraient peut-être pas sortis vainqueurs. Après beaucoup d’atermoiements, de revirements, de controverses, l’armée tchèque a fini par recevoir son exeat en février 1918.

Ce n’était pas tout d’avoir la permission de s’en aller : il fallait savoir par quelle voie partir. On avait songé tout d’abord à la Roumanie ; c’était avant le traité de Bucarest : nul doute que les soldats tchèques eussent secondé de leur mieux la pauvre et vaillante armée roumaine. Mais qu’auraient-ils pu faire ? La Roumanie était condamnée par le destin de la guerre : la collaboration des Tchéco-Slovaques aurait tout au plus prolongé son agonie. — L’exode par la Perse avait tenté un moment aussi l’esprit des dirigeants tchèques, mais il comportait trop de risques. — Restaient deux routes, celle d’Arkhangel et celle de Vladivostok : la première a été adoptée pour quelques-unes des troupes tchèques, mais la plupart ont suivi la seconde, plus longue, mais plus sûre. Ce tour du monde, en apparence paradoxal, destiné à les ramener en Occident par l’Extrême-Orient, a commencé au mois de mars. M. Masaryk avait quitté Moscou le 7 mars, après avoir tout préparé. Les Tchèques s’étaient mis en route résolument, sans se laisser effrayer par les obstacles ni rebuter par la longueur du chemin. Profitant de tous les moyens de locomotion, tantôt réquisitionnant les trains qui avaient échappé à l’universel sabotage, réparant le matériel, improvisant des voies ferrées, tantôt se lançant à pied dans les vastes plaines solitaires, ils allaient, pleins de confiance. Les populations les accueillaient volontiers, parce qu’elles les aimaient ; les bolcheviks les laissaient passer, parce qu’ils les redoutaient. Ils pouvaient espérer qu’ils arriveraient, sinon sans délai ou sans fatigue, du moins sans combat, jusqu’à ces terres lutines où ils auraient la joie de se mesurer avec leurs ennemis héréditaires.

Mais l’Allemagne veillait, et surtout l’Autriche-Hongrie.