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déjouer les projets de vos ennemis[1]. » Dietrich avait cru devoir, pour éviter d’être accusé d’esprit réactionnaire, se faire inscrire parmi les adhérents au club des « Amis de la Constitution » qui devint plus tard une ramification du club des Jacobins de Paris, sans se douter que cette adhésion lui causerait un jour de grandes difficultés pour le libre exercice de ses fonctions municipales.

À la fête de la Fédération, il recueillit tous les suffrages des Alsaciens qui étaient venus loyalement attester leur amour pour la France et leur union intime avec elle, ainsi que leur attachement aux idées de fraternité et de liberté. Son éloquent discours, puis son serment sur l’autel de la Fédération, répété par son jeune fils qui commandait le détachement des « Enfants de la Patrie, » émurent profondément les soldats de la garnison, les gardes nationaux, les députations des diverses corporations et les nombreux spectateurs réunis en cette grande manifestation de fête et de concorde. Tout était fait d’ailleurs pour émouvoir l’immense auditoire : sa physionomie grave et belle, son front large, ses yeux expressifs, sa bouche fine et spirituelle, sa tenue digne et haute, sa voix superbe, la conviction qui enflammait ses paroles, enfin le serment que l’on savait si sincère de rester fidèle au Roi, à la Nation et à la Loi.

Heureux moment, mais qui ne devait durer qu’un moment ! Si l’on se laissait aller à une impression naturelle de scepticisme, on serait tenté de se demander à quoi bon toutes ces ardentes déclarations en faveur de la liberté et de la fraternité, puisque, aux yeux des révolutionnaires, elles ne devaient compter que pour peu de chose ou même pour rien. À quoi bon s’associer au mouvement de régénération qui semblait être celui de la Nation tout entière, puisque les meilleures preuves de patriotisme et de dévouement à la chose publique allaient être transformées par des sectaires en autant d’actes répréhensibles et même criminels ?… Mais Dietrich voyait plus haut et plus loin. Sûr de sa conscience et confiant dans le jugement des hommes de cœur et dans celui de la postérité, dédaigneux des

  1. La Fayette faisait allusion à Salles qui avait dénoncé Dietrich à l’Assemblée Constituante pour participation secrète aux manœuvres ourdies en Alsace contre les réformes de la Révolution. Rewbell s’était joint à Salles pour accuser Dietrich de s’être fait l’agent de l’évêque de Spire, ce qui était aussi stupide que faux.