Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On a fait observer qu’il avait eu tort de se livrer à des sectaires décidés quand même à le condamner et l’on s’est quelque peu étonné de tant de courage inutile. D’après Louis Spach, Dietrich avait eu, en agissant ainsi, la pensée de sauver le patrimoine de ses enfants et d’éviter la réprobation attachée à la fuite de certains émigrés. Cette supposition parait être un fait réel.

Le 11 novembre, l’aide de camp du général Ferrières, qui l’avait escorté à Paris, était venu annoncer son arrivée à la Convention. Celle-ci refusa d’abord de l’entendre, mais Condorcet rappela ses qualités et ses mérites, son zèle pour la liberté et son patriotisme évident, Rühl, qui se conduisait maintenant comme un lâche, aurait voulu qu’on le traitât en émigré et fournit des pièces fausses contre lui ; mais l’Assemblée écarta sa motion. Sur la proposition de Bourdon de l’Oise, Dietrich fut renvoyé devant ses juges naturels, le tribunal criminel du Bas-Rhin. Il rentra donc le 27 novembre à Strasbourg, mais comme inculpé d’avoir comploté avec La Fayette contre la sûreté de l’Etat et d’avoir dénié à l’Assemblée législative le droit de briser la Constitution en 1791, crimes qui, suivant ses ennemis, méritaient la proscription, la confiscation des biens et même la mort.

Dietrich attendait l’arrêt de ses concitoyens avec l’assurance d’un homme fort de sa conscience et de ses principes. Il savait qu’il lui serait facile de prouver qu’en toutes choses, il avait parlé et agi pour la liberté et le bien de son pays. Sûr d’être acquitté par la justice, il déclarait qu’il était prêt à rentrer dans l’obscurité, pour y propager seulement les principes de l’égalité, manifester sa soumission aux pouvoirs constitués et s’occuper de remettre en ordre sa fortune entièrement délabrée[1].

Un vif mouvement de sympathie l’accueillit à son retour à Strasbourg, lorsqu’il descendit à l’hôtel de l’Esprit. Une foule de citoyens vinrent le saluer. Une garde d’honneur se forma autour de lui pour le protéger. Les Orphelins, dont il s’était si souvent occupé, envoyèrent une députation à celui qu’ils appelaient le « Père de la Cité. » Aux nouvelles élections communales, son parti remporta la victoire et son ami, M. de Turckheim, fut nommé maire de la ville, ce qui exaspéra ses ennemis qui redoublèrent alors leurs accusations.

  1. Archives Nationales F7, 5 195.