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d’obtenir votre réunion à votre tendre et vertueuse mère. J’espère que mes ennemis, satisfaits de ma mort, ne s’y opposeront plus. L’avenir me justifiera dans l’opinion des hommes justes et vrais républicains. J’attends ma fin en un calme qui doit vous servir de consolation. L’innocent peut seul l’envisager ainsi. Je vous embrasse, mes chers amis, mes chers enfants ; conservez vos principes et votre vertu et vous saurez supporter tous les événements avec courage. Je vous dis adieu pour la dernière fois. — A Dieu ![1] »

Cette lettre est en quelque sorte le résumé du testament de Besançon où Dietrich faisait déjà, à son père, à sa femme et à ses fils les plus touchants adieux. On y retrouve les mêmes pensées généreuses et le sublime conseil, pour toute vengeance, de se dévouer à la patrie. Non seulement Dietrich pardonnait à ses ennemis, mais il regrette encore de ne pouvoir leur faire quelque bien avant d’aller à une mort, dont ils sont les seuls auteurs. Les derniers mots « A Dieu ! » renferment un appel suprême à Celui qui dispose de notre vie en souverain maître et qui, en échange des jours passagers, accorde à ceux qui croient en lui une félicité immuable. Rien n’empêche de penser que cette consolation fut donnée à l’homme héroïque qui tombait victime de son dévouement sincère et de ses nobles devoirs envers la France et ses concitoyens.


Le 9 nivôse an II (29 décembre 1793), Frédéric de Dietrich, à l’âge de quarante-cinq ans, plein de vie et de calme, montait lentement les degrés de l’échafaud, sur la place de la Révolution. Il entendit alors, — suprême douleur ! — répété par des brutes avinées, le refrain du chant de guerre dont le salon de la mairie, à Strasbourg, avait accueilli les premiers accents. Ce chant superbe, inspiré par le plus ardent patriotisme, et qui, tant de fois, avait conduit nos soldats à l’assaut et à la victoire, était maintenant détourné de son sens guerrier et lancé par des misérables comme un outrage à la face des victimes du Tribunal révolutionnaire. Ce n’était pourtant pas un sang impur qui allait couler sur la planche fatale ; c’était, comme tout le sang qui avait déjà rougi cette place affreuse de la Révolution, celui des innocents et des vrais patriotes. L’auteur de la

  1. Extrait des Mémoires de Riouffe.