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fourmillent, des noms catalans des deux côtés des monts. Des signatures espagnoles de Carmens, de Pilars, de Dolorès et de Conchitas, voisinent avec les signatures féminines françaises. Qu’il y ait bien de la badauderie dans ces barbouillages, cela est évident, mais il y a autre chose aussi : le témoignage qu’on est monté à son tour à l’Ermitage, comme avaient fait les pères et les grands-pères. Pas une note discordante, — sauf le paraphe isolé de l’inévitable imbécile, — dans toute cette épigraphie populaire.

A celui qui est curieux de ces manifestations incoercibles de l’âme des foules, deux inscriptions sautent aux yeux parmi ce fourmillement d’écritures quelconques. La première, en castillan, est ainsi conçue : « Souvenir de Ramon Calvet, maçon. 20 juin 1913. J’ai travaillé ici, dans cette sainte maison, et je suis venu de Puycerda : Trabagé aqui en esta Santa Casa, y venido de Puycerda. » L’autre, en français, écrite au crayon par une jeune fille et datée du mois d’août 1914 : « Vierge de Font-Romeù, faites qu’il ne meure pas !… » Les deux beaux cris ! Celui du pauvre maçon, qui, comme un pieux artisan du moyen âge, comme un bon homme de sa province, se glorifie d’avoir travaillé pour la Dame de ce lieu, — et l’autre, si tragique, si douloureux, celui de la petite fiancée de 1914 : « Vierge de Font-Romeù, faites qu’il ne meure pas ! »


Autrefois, ces amples bâtiments de l’Ermitage n’étaient guère habités qu’à l’époque des grandes fêtes solennelles, en temps de pèlerinage. Puis, peu à peu, à mesure que les moyens de communication se multipliaient, la coutume s’établit chez les gens de la plaine de venir ici passer la saison chaude, à l’ombre de l’antique chapelle. Mais, s’il faut en croire les anciens habitués de la maison, les hôtes sédentaires étaient, jusqu’à ces derniers temps, un tout petit troupeau. M. Pierre Vidal, qui veut bien recueillir pour moi ses souvenirs, m’écrit ceci : « C’était le lieu le moins élégant et le moins mondain de la terre… On s’habillait sans recherche, sauf à faire un bout de toilette, le soir, pour aller à la chapelle chanter les goïgs de la vieille madone. Ce pieux devoir accompli, le paborde Agosli fermait les portes et l’on se souhaitait una bona nit, comme gens d’une famille de campagnards. Ordinairement, nous