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sont trop liées à leurs bases pour qu’elles puissent aller indéfiniment en pays conquis. Au contraire, l’adversaire qui s’appuie sur un pays organisé se rapproche des siennes à mesure qu’il recule. Une infanterie légère, équipée pour la progression rapide, est arrêtée fatalement dès que la ceinture des feux se rétablit. L’habileté de la manœuvre consiste à tirer le maximum d’avantages de la période de flottement, à foncer au plus vite par les issues encore libres pour étendre le rayon de l’avance. Ceci fait, il convient d’attendre l’arrivée de l’artillerie qui assure la possession du terrain. Qu’il soit normal d’espérer en finir tout à fait, après une longue bataille d’usure, quand les moyens de l’adversaire sont épuisés, rien de plus juste ; jusque-là, il convient de se limiter.

L’expérience de la guerre actuelle nous a montré, en effet, sous quelles espèces il fallait envisager la notion de la victoire. Etre victorieux, c’est, après avoir enfoncé sur un point faible les positions ennemies, obliger une partie plus ou moins grande du front à s’aligner en arrière pour rétablir la continuité de la ligne. Créer la poche à l’endroit sensible, l’élargir à droite et à gauche par des poussées successives pour rendre impossible sa réduction par les contre-attaques, tels sont les temps successifs de la manœuvre. La victoire ainsi conçue n’est pas décisive, tant que l’adversaire, ayant derrière lui de l’espace pour reculer, conserve son armée intacte. Quoique battu, il peut se renforcer, attendre une faute de l’ennemi et le retour de la fortune. C’est ainsi que, sur le front russe, aussi longtemps que l’armée fut existante et dans la main du généralissime, les Allemands remportèrent des victoires, mais n’obtinrent pas la décision.

Mais si l’adversaire ne dispose que d’un terrain limité, les chances augmentent. Les armées, étant les esclaves des voies de transport et des centres industriels, dès que ces objectifs sont menacés, la décision approche. Privée de son ravitaillement, une armée est virtuellement détruite.

Or, la France, à cause de son territoire de petite étendue, est plus vulnérable que l’Allemagne ou la Russie. Paris n’est pas seulement la capitale, — dans un pays aussi homogène que le nôtre, la perte de la capitale n’arrête pas la guerre, — mais c’est surtout un centre formidable d’activité industrielle qui intéresse au plus haut degré notre production de guerre.

Autre point sensible : la proximité de la mer. C’est-à-dire la