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journal de Charleville a été spécialement favorisé par le G.Q. G. alllemand. Le Bruxellois (journal quotidien indépendant ( ! ), tirage 75 000 exemplaires par jour, rédigé à Bruxelles, 45, rue Henri-Maus) n’a jamais bénéficié des mêmes avantages. Le rédacteur en chef de cette autre feuille de propagande, qui signe Marc de Salm, spécialisé dans les attaques contre l’Angleterre, n’a point l’espèce de brio grossier qui permet à Prévost de prendre, auprès du Boche, des attitudes d’écrivain « bien parisien. » Le Bruxellois, dès 1915, commençait la publication, en feuilleton, des Mystères de Paris, et un choix aussi peu indiqué n’eût point été toléré à Charleville. A la Gazette des Ardennes, on a eu le souci constant de prendre, dans la littérature française, tantôt ce qui constitue un tableau de la prétendue « corruption » actuelle, de la décadence de nos mœurs ; tantôt ce qui montre des sentiments de méfiance à l’égard de l’Angleterre ; tantôt ce qui permet de croire qu’en France, l’Allemagne est jugée favorablement. Mais les romans d’Eugène Sue ! Nous savons que des officiers allemands cantonnés dans la Somme jugeaient que la reproduction des Mystères de Paris était « comme du temps perdu ! »

Qu’ils en prennent leur parti ! Ils ont également perdu leur temps en organisant, avec leur minutie habituelle, l’énorme diffusion de la Gazette des Ardennes. Nous pouvons affirmer qu’à aucun moment cet étrange journal « d’information, » consacré aux pays envahis, n’a exercé d’influence ni trompé le public qu’il était chargé d’atteindre. Les seules « nouvelles » publiées étaient résumées dans les communiqués allemands, et parfois dans les communiqués français, quand ils paraissaient contenir l’annonce d’échecs graves. Les lecteurs de la Gazette des Ardennes, qui n’ont entendu parler du Lusitania qu’en avril, mai et juin 1915, et lisaient, le 4 juin 1915, « qu’étant donnée la perfidie bien connue des méthodes anglaises, il n’est nullement impossible que les sous-marins anglais torpillent des bateaux neutres, pour dire ensuite que c’étaient les Allemands, » n’ont pu comprendre, évidemment, le revirement d’opinion qui s’est produit aux Etats-Unis et chez la plupart des neutres. De même nos compatriotes devaient ignorer que, dès le mois d’avril 1915, devant Ypres, les Allemands avaient fait usage de gaz asphyxiants. Mais la Gazette, en se gardant soigneusement de leur révéler ce nouveau crime, accusait, le 7 juin suivant,